Logement indigne, 8 rue de Tunis, Sète

Dimanche 31 janvier, à l’appel du Collectif Logement Sète, une quarantaine de personnes s’est rassemblée devant un petit immeuble vétuste, au 8 rue de Tunis, dans le quartier populaire des 4 ponts pour exiger le relogement des locataires frappés d’expulsion.

Emblématique du processus de gentrification qui touche  3 quartiers populaires de Sète, (4 ponts, centre-ville, quartier haut) l’immeuble est dans un état de  délabrement avancé, ( des étais soutiennent le plafond du couloir au rez-de-chaussée, la cour est interdite d’accès car une terrasse menace de s’effondrer, l’électricité ne répond à aucune norme…) 

En janvier 2020, les locataires, pour la plus part âgés, ont été mis en demeure, par les propriétaires privés, de quitter les lieux au plus vite  afin que des travaux de réhabilitation soient effectués. Aucune solution de relogement ne leur a été proposée.

Driss275€ pour un taudis, la couleur de la misère

Driss. Dessin, XM

Driss, 55 ans, habite au 2ème et dernier étage.

  « Je suis ici depuis 2006. Depuis 1 an, le propriétaire nous dit de partir, mais on a rien, on attend. J’ai refusé un logement à la ZUP, je voudrais aller au Château vert, ou rester ici, au centre-ville, dans mon quartier. » 

Il me fait visiter son logement, un taudis propre et rangé, qu’il a lui-même repeint entièrement dans un magnifique bleu  turquoise. La couleur offre un contraste  singulier avec la misère du lieu. Dans la cuisine, au dessus de  l’évier, le chauffe-eau à gaz, antédiluvien, a perdu son capot émaillé; avec ses organes à l’air, le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il n’inspire pas confiance.  

La salle de bain ? C’est l’illustration même du concept de passoire thermique.  Une pièce nue avec une cabine de douche vétuste et moisie. Aucune isolation ne protège le plafond de lattis plâtré des combles et du toit. En cette belle journée de janvier, le froid de l’hiver irradie. 

« Quand je prends la douche, ça fuit en dessous, l’eau descend dans l’autre appartement chez le voisin. Ici, il fait très froid, je dois mettre le chauffage une heure avant pour ne pas attraper la grippe.»

Le chauffage ? Un « grille-pain » à l’ancienne, énergivore et dangereux. 

L’Ancre : Ça coûte cher, non ?
Driss : Ça coûte cher, oui.

L’Ancre : Et le loyer ? 

Driss :  275 €, avec les charges. Quelles charges ? il n’y a pas de lumière dans le couloir, pas de ménage. La CAF m’aide à payer, heureusement. 

J’espère une autre maison.  Tout le temps, ils viennent les propriétaires, ils nous disent : « Il faut sortir d’ici, il faut partir. » 

Le moral, il n’est pas très bon. Je voudrais descendre au Maroc, pour voir ma mère qui est malade, mais je ne peux pas y aller, à cause de la maison, ici.

L’Ancre : Est-ce que vous  pourrez revenir dans l’appartement après les travaux ? Est ce que le propriétaire a pris des engagements ?

Driss :  Ils (les propriétaires ndlr) disent rien. S’ils font les travaux, ils montent les prix. Normalement dans la loi, tu montes de 15%, donc, déjà, tu rajoutes 50,60€, bon. Mais là, ils cassent tout, ils font des grandes pièces, ça sera pas pour nous. Ils feront pas 2 maisons, mais 1 maison, grande, à chaque étage. Et nous, on bouge…C’est comme ça.

Alors on attend . Ma fille a rempli le dossier HLM, après, je ne sais pas s’ils font des commissions en réunion, avec le Covid, avec cette maladie. C’est grave. Très grave.

Dans la chambre entièrement meublée chez Emmaüs, les couleurs claquent. Murs bleus, couverture rouge vif. Le repas solitaire de Driss refroidit dans une assiette jaune. Des œufs et des pommes de terre. 

Driss :  Je n’ai pas grand chose… là,  je suis pas à l’aise, à l’aise…  Le meuble là, c’est le propriétaire, le reste, c’est moi, le lit et le matelas, 100 €, la télé, presque 20€, le canapé 50€.    

La visite se termine. Driss sourit, hausse une épaule, désabusé.  Je n’ai pas grand chose, mais si on me donne une petite maison, je vais acheter ce qu’il faut pour que ce soit bien !

Abdelaziz. A l’appel de De Gaulle, une vie dans le goudron

Abdelaziz. Dessin XM

Sur le même palier, Abdelaziz, 87 ans m’ouvre sa porte. 

« Je suis né en 1933, et je suis ici depuis 35 ans au moins, peut être 40. Le propriétaire a envoyé une lettre pour partir, il y a 1 an. Mais moi, je n’arrive pas à marcher, je tiens comme ça, debout, mais je n’arrive pas à marcher. J’ai une canne. J’ai beaucoup de maladies, le diabète, la tension, l’estomac, et j’ai mis une pile pour le cœur aussi.» 

Sur la commode de la chambre à coucher – la seule pièce chauffée de l’appartement – un amoncellement de boîtes de médicaments témoigne de la mauvaise santé d’Abdelaziz. 

« Regarde tout ce que j’ai comme médicaments. Il y a 3 infirmières, elles se relaient, elles viennent tous les jours, elles me donnent les médicaments et elles me font la piqûre- l’insuline. Pour le diabète. Et chaque fois dans la semaine, j’ai la femme de ménage pour nettoyer la chambre, tout ça.

L’assistante sociale, elle est bonne, mais elle a pas pu trouver la maison pour moi…

3 jeunes m’ont apporté le chauffage et la télé, ils sont bien gentils. Ils viennent de temps en temps. »

 Une télé à l’ancienne, énorme, en noir et blanc. Sur l’écran gris, la mer, des navires, quelqu’un qui agite un drapeau tricolore.

L’Ancre :  Avez vous de la famille en France ?

Abdelaziz : « Non, ma famille est en Tunisie, ma femme était algérienne, mais moi je viens de Tunisie, près de la frontière. Je suis venu en 66, quand De Gaulle a demandé les travailleurs. J’étais à l’armée, moi, avant. J’étais à l’armée française. Je suis sorti en 62, puis, en 66, il a demandé, De Gaulle. Alors, j’ai passé la visite et je suis venu ici.

J’ai fait le goudron, la route, le bâtiment, surtout le goudron.  Jusqu’à la fin. J’ai toujours travaillé le goudron. 

L’Ancre : Les poumons ?

Abdelaziz : « Oui, les poumons. Il bouffe, le goudron. Au mois de juillet et d’Août, j’ai travaillé le goudron à 160°c. Et oui, c’est la vie comme ça.

J’ai travaillé 60 ans. Mais on m’a réduit ma pension, j’étais au bled, et je suis tombé malade, je ne connais pas bien les lois, c’est comme ça. »

(Les travailleurs étrangers qui touchent une pension de retraite en France n’ont pas le droit de quitter le territoire plus de 6 mois d’affilée. ndlr)

Abdelaziz ouvre une porte fermée par un sac de plastique en guise de corde. L’ancienne propriétaire, aujourd’hui décédée, avait , un temps, installé dans cette pièce aveugle et minuscule, un locataire supplémentaire. Sans son accord, au sein même de son appartement et au moment où Abdelaziz, à la suite de de la coupe de sa retraite, peinait à payer le loyer.

Abdelaziz me montre le plafond de la cuisine, les trous rebouchés au plâtre par un voisin. 

Abdelaziz : « La maison, elle va tomber. La douche, je vais la prendre sur la place, les douches de la mairie. Les toilettes, sur le palier, la nuit, il faut sortir, il fait froid, c’est pas facile.

Moi je veux partir d’ici, mais je ne veux pas aller loin, je ne veux pas sortir de Sète. Comment faire? » 

Je prends congé et entame prudemment, la descente des marches. « Faites attention» !  Je m’arrête. Penché  par dessus la rambarde, vers le trou noir  de la cage d’escalier, le vieux travailleur du goudron veille sur ma descente.

 « Faites attention à l’escalier, tenez bien la rampe ! Dans l’escalier, n’y a pas de lumière… »

Quelques jours plus tard, alors qu’un arrêté de mise en sécurité à été placardé sur la porte d’entrée, je retourne au 8, rue de Tunis, pour tâcher de rencontrer Abdallah, 77 ans, qui vit au rez-de-chaussée de l’immeuble. Ce n’est pas le bon jour, le moral est au plus bas, Abdallah est épuisé. Malgré l’appui et les démarches du collectif logement Sète, les locataires n’ont toujours aucune proposition de relogement convenable. 

Un nouveau rassemblement est organisé à 15h devant l’immeuble, à l’appel du Collectif, dimanche 14 février. 

Le dimanche 14 février, je retourne au 8 rue de Tunis. Il fait un froid glacial, il fait gris. A intervalles réguliers, la descente d’eaux usées disjointe de l’immeuble d’en face douche la rue dans un bruit de cascade. Le groupe s’écarte en riant. On spécule, eaux grises ou eaux noires?

Derriere une table de camping, une voisine, accompagnée de ses enfants offre des gâteaux.

Abdallah, 77 ans est surpris: Avec le mauvais temps, je pensais qu’il n’y aurait pas de monde!

Abdallah. Y’a pas le choix

Abdallah habite au rez-de-chaussée, au fond du couloir, juste avant la cour lugubre, et interdite par des rubalises oranges, où se trouvent pourtant les toilettes.

Abdallah me propose de faire un café et de mettre le chauffage.

Abdallah: J’habite ici depuis 13, 14 ans, comme ça. Je paye 255€, c’est un peu moins cher parce que c’est seulement une seule pièce. J’ai pas la cuisine, j’ai pas la salle de bain. Pour les toilettes, il faut sortir, dans le couloir, tourner, et c’est là, au fond, tout au fond.

Je fais la moue.

Y’a pas le choix, dit Abdallah.

Ce n’est même pas un appartement, c’est juste une seule pièce, une cave serait plus gaie. Une seule pièce. Avec rien. Pas de canapé, pas de rideaux, pas de cuisine, pas d’image au mur, pas d’évier, pas d’armoire, pas de commode, pas de radio, pas d’abat-jour, pas de coussins, pas de tapis, pas d’étagère. Pas de toilettes, pas de livres, pas de calendrier des postes, pas d’horloge, pas de salle de bain, pas de soleil, rien.

Une seule pièce. 15 m2 environ. avec tout. Un lit, étroit, avec en face une télé noir et blanc posée sur une chaise. Un fauteuil qui sert d’armoire pour une pile de vêtements. Une table et deux chaises. Un frigo. Un radiateur électrique et ses câbles. Une fenêtre occultée contre le froid par une couverture orange qui laisse passer un filet de jour gris. Une ampoule allumée au bout d’un fil. Un lavabo et par terre à côté, l’égouttoir chargé de vaisselle propre. Un bac à douche nu , posé là, contre un mur, sans rideau, sans paroi, sans rien.

Abdallah: Il y a un an, le propriétaire m’a dit. Dégage. Moi je dois partir d’ici, et je peux aller n’importe où. A la Zup, à la Corniche. Mais j’ai pas de nouvelles. Pas de nouvelles de la Mairie. Pourtant, la moitié de Sète, elle est vide, tu sais. Mais on m’a rien donné. Pour l’instant. Rien.
Moi, j’ai 5 ou 6 maladies. en 1er le diabète, et le coeur, et la prostate…

Sur la table de formica , entre nous, à côté de la cafetière italienne rutilante, une boîte à gâteaux en métal: La biscuiterie de la pointe du Raz.

L’Ancre: Vous avez travaillé toute votre vie en France?

Abdallah: Oui Je viens d’Algérie. J’ai travaillé la maçonnerie, l’EDF, et quand j’avais pas de travail, l’agricole. Tu vois ce que c’est l’agricole? Et maintenant, c’est la retraite. J’ai 680€.

L’Ancre: Vous avez de la famille en France?

Abdallah: Non. Tous en Algérie. Ma femme est morte en 2013. J’ai 6 enfants. Tous en Algérie. Il y en a un qui est mort. 5 qui sont vivants. Il y a 14 mois que je suis pas allé. La route est fermée. Ou alors il faut aller à Paris, et là prendre un avion pour l’Algérie. Y’a pas le choix.

L’Ancre: Votre femme habitait en France avec vous?

Abdallah: Non non, jamais elle est venue. Si elle venait il fallait aussi faire venir tous les enfants, j’ai pas pu. Fatma, ma femme est morte il y a 8 ans.

L’Ancre: Je peux vous prendre en photo? Si vous voulez bien je ferai un dessin de vous.

Je sors mon carnet pour montrer à Abdallah les dessins que j’ai fait de ses voisins du 2ème étage, Driss et Abdellaziz. Il les regarde, ses yeux pétillent et il éclate de rire.

A propos de Xénia Marcuse 69 Articles
Autrice de théâtre, jardinière, cycliste, scénographe, peintre décoratrice, nageuse, citoyenne sétoise, Xenia Marcuse est aussi co-fondatrice de L'ancre.