Au 8 rue de Tunis, à Sète, dans ce bâtiment qui part à la dérive, ils sont trois venus de l’autre lèvre, de la Méditerranée, notre mer en partage. Trois hommes, dont la vie s’est écrite à l’encre de nos histoires entremêlées.
Au 8 rue de Tunis, il y a les deux anciens, Abdelaziz (87 ans) et Abdallah (77 ans), plus Driss (55 ans). Depuis de longs mois, ils luttent contre les bordées d’injonctions des propriétaires, leur ordonnant de partir, pour cause de rénovation.
Il est vrai, que le bâtiment et leurs logements indignes nécessitent de lourds travaux. Mais partir où, comment, avec quel argent ? Ils sont, un peu, perdus, comme si leur vie devenait floue, incertaine, prise dans la brume d’un ailleurs dont ils ne maîtrisent pas la langue technocratique : restauration des quartiers dégradés, arrêté de mise en sécurité, insalubrité, service d’hygiène, huissier, avocat. Monter des dossiers, remplir des demandes de HLM, passer en commission d’attribution etc. Tout un cortège de bureaux, de décideurs qui se renvoient la balle, et pour qui les deux chibanis ne sont que des dossiers incomplets.
Et pourtant, voilà des décennies qu’ils vivent là, dans leur logement indigne, et, au-delà des murs fissurés et gonflés d’humidité, le quartier est leur domaine, peuplé de voisins. Ils en connaissent la moindre tache de soleil, la devanture de la laverie automatique, fermée, où il fait bon s’arrêter, le banc en pierre, du bout de la rue, quand on rentre chargé, toute une géographie du quotidien qui n’appartient qu’à chacun. C’est tout ça qu’on veut leur prendre à eux, déjà venus de si loin, comme un exil, après l’exil.
Leurs voisins écoeurés ont formé un collectif pour les soutenir et leur venir en aide. Depuis le mois de novembre, les rassemblements s’enchaînent, l’accompagnement dans les bureaux s’intensifie tandis que les propriétaires campent sur leurs positions. Ils ne les reprendrons pas ! C’est à la Mairie de s’en charger !.
La rue de Tunis est en pleine gentrification: plantes vertes, street art et changement de population. Les pauvres iront ailleurs, loin de ce quartier si typique, loin du centre ville. Sète a le vent en poupe, les tournages s’y succèdent, projetant des images d’une ville de rêve. Les artistes s’y bousculent sur les pentes du St Clair et les projets de construction résidentielle gangrènent tous les espaces encore vacants. Notre ville/port, jadis populaire, se noie dans l’embourgeoisement et risque de n’être plus qu’un décor pour petit et grand écran, où des citadins en mal d’authenticité s’offrent des nuits RBNB et des résidences secondaires.
Mardi 2 février, au 8 rue de Tunis, le couperet vient de tomber : Arrêté de mise en sécurité. Les 3 hommes n’ont plus que 15 jours d’incertitude avant être délogés/relogés. Le collectif est sur le pont pour accentuer la lutte par tous les moyens possibles afin que soit respecté les droits des locataires et plus encore la dignité d’Abdallah, d’Abdelaziz et de Driss.