Samedi 20 mars, printemps.
La France, sous Covid et couvre-feu, navigue à courte vue. 1ère, 2ème, 3ème vague… l’horizon s’est obscurci, nous approchons des 100.000 mort.es.
Un an. Un an déjà !
De l’air ! On étouffe ! De l’air.
Dans ce climat irrespirable et lourd, au 8 rue de Tunis, derrière la façade grise, les 3 hommes attendent !
Labyrinthe administratif
Deux arrêtés de mise en sécurité. Un arrêté d’insalubrité. De multiples rendez-vous, avec les avocats, l’huissière, des secrétariats divers et toutes les réunions du collectif où l’échange, parfois rugueux, n’empêche pas d’avancer.
L’accompagnement des deux vieux hommes, les cafés et les moments partagés, dans les logements indignes, au croisement d’une rue, sur l’esplanade où Abdallah prend le soleil avec d’autres, eux aussi venus d’ailleurs, ces petits gestes, cette part d’humanité, en partage, éclaire les frustrations et la colère que génèrent l’indifférence de l’administration, le mépris et le harcèlement des propriétaires.
Le temps administratif n’a rien à voir avec le temps de la vie de tous les jours. Celle où chacun inscrit ses rituels, ses déplacements et se projette dans un avenir proche. Le temps administratif est à la fois un précipité et un étirement dont on ne voit pas la fin. Les arrêtés sont là, placardés, évidents avec leurs termes juridiques entraînant des wagons de lois, de décrets, de jurisprudences… tout un train qui circule hors des chemins du quotidien. Locataires et collectif en font, ensemble, l’apprentissage.
Les arrêtés sont formels, les propriétaires sont tenus de prendre en charge le relogement de leurs locataires. Cette simple phrase aurait dû ouvrir un espace sécurisé où Abdallah, Abdelaziz et Driss puissent entrevoir un après, 8 rue de Tunis. Or, c’est un huis clos qui se joue entre les 4 murs de chacun ; « Ils ne les reprendront pas ! », dit la propriétaire, « c’est à la mairie de s’en charger ! », leur dit-elle encore. La loi le permet, comme pour des animaux abandonnés lors d’un départ en vacances. L’immeuble sera rénové, réaménagé, réhabité comme il se doit, au bon désir des propriétaires. « Qui, rappelons-le, ont encaissé 144000€ de loyers durant toutes ses années ».
Pour les pauvres… de pauvres propositions
La mairie, plus exactement ses services dédiés aux pauvres, le CCAS et l’OPAH, sont à la manœuvre depuis que le collectif a arraché deux rendez-vous, après rassemblements-forcings, banderole et tracts. S’ensuivront plusieurs propositions de logements, inadéquates, les locataires ayant exprimé leur souhait de rester dans leur quartier, ou proches. Principalement Abdelaziz 87ans qui y vit depuis plus de 35 ans. C’est à la Corniche, à plusieurs kilomètres de chez lui, qu’un logement lui est proposé, comme un impensé de sa situation. Refus d’Abdelaziz, soutenu par le collectif, qui a dû se justifier, la mairie ne comprenant pas ce refus… Driss, lui, n’a pas osé refuser le logement à l’île de Thau. Le refus n’est pas chose aisée pour ces hommes habitués, depuis bien longtemps, à accepter ce que l’on veut bien leur donner. Des boulots harassants, des logements indécents et des conditions de vie indignes. Heureusement, des voisines attentives et le collectif tentent d’apporter sur le plateau de la balance leur poids d’humanité et leur désir de justice sociale, comme un contre poids, voire un contre pouvoir. Une belle utopie, en vrai, à cultiver ensemble.
Quelques rendez-vous plus tard, l’OPAH propose à Abdallah et Abdelaziz un F3, au 5ème étage, en colocation, à l’île de Thau, toujours plus loin de leur quartier. Est-ce du cynisme ou de l’avant-gardisme ? Certes, les deux hommes habitent le même immeuble et leur situation de locataire délogé est identique. Cependant, ils n’ont aucun projet de vie en colocation, ce sont des voisins. Cette proposition est une aberration totale, choquante déroutante… comme si la mairie essayait de se débarrasser du problème à moindre frais, sans considération aucune. Une fois encore, les deux hommes doivent refuser. Alors que la situation semblait claire : un logement chacun, leur parvient une nouvelle proposition. Un F3, en colocation, à l’île de Thau, au 6ème étage cette fois-ci. Ce pourrait être du comique de répétition mais ce n’est qu’une administration kafkaïenne !
Nouveau refus ! Les hommes sont déboussolés et la Mairie de répéter « les yeux dans les yeux » qu’elle ne dispose d’aucun F1, ni F2 sur Sète.
Pourtant, note le dernier communiqué du collectif : « Au pied du parc du Château d’eau, un ensemble de logements HLM va être livré d’ici un mois ! 48 logements : des T1, T2, T3 et T4 vont être disponibles. »
Et le collectif de poursuivre :
« Alors, pour que cette histoire finisse bien, nous demandons que soit attribué aux locataires du 8 rue de Tunis un logement conforme à leurs besoins, comme le dit la loi, dans cet ensemble du centre ville.
Nous demandons aussi à la ville que le projet de réhabilitation du 8 rue de Tunis, via des subventions d’État (nos impôts), soit revu et corrigé ou abandonné !
Nous ne les abandonnerons pas ! »