Nous avons jeté l’Ancre à 2 reprises à l’Île de Thau, la semaine dernière. Mercredi soir, nous avons répondu à l’invitation d’un collectif d’habitantEs, soutenu par différentEs éluEs d’opposition qui souhaitent faire connaître la situation du quartier. Une situation désespérante, due à la mainmise des dealeurs qui occupent le quartier. Vendredi, nous allions à La Passerelle, voir la pièce de Fabrice Melquiot, La Truelle. Une pièce à propos de la Mafia.
C’est une soirée poignante que nous avons passée sous l’éclairage au néon de la petite salle de la Seinchole, au coeur de l’Île de Thau. Après une introduction par un des élus au département, les habitantEs prennent la parole, (malgré la peur, pour certainEs, avec beaucoup de courage pour touTEs) pour témoigner de leur quotidien empoisonné, entravé, méprisé. On entend alors les échos d’une situation extrême : ces dealeurs qui « à 90% ne sont pas des jeunes de la cité » sont partout, devant la Médiathèque (Malraux) , dans le bus, sur la passerelle, dans le centre commercial, laissent tourner les moteurs des voitures une bonne partie de la nuit, la musique à fond, les agressions, les rixes, la peur, encore la peur. Une dame : » Le soir à 20h, un accueil sous le porche, 6 personnes, minimum, sur la passerelle, d’autres. Du coup, pour passer la passerelle, pour aller chez des amis, maintenant, j’hésite. » Un homme : » J’habite le quartier depuis 1976. J’ai jamais connu un tel truc. Y’a des bandes organisées, c’est encadré… Un jour y’en a un qui va péter un câble, hein ! Il va se passer un truc, mais qui c’est qui va être embêté ? C’est celui qui va faire cette bêtise là. «
On entend, cette association pour l’enfance à caractère social qui a déménagé, on entend que les infirmières disent qu’elles ne viendront pas dans le nouveau Pôle santé en construction, on entend ce restaurateur du centre ville qui n’envoie plus ses livreurs sur le quartier. Il y a ce monsieur qui se trompe, nomme le directeur de la police municipale, » directeur des pompes funèbres « . Il s’excuse, il y a des rires dans la salle, un minuscule instant de détente. Il se reprend, raconte qu’un dealeur lui a intimé l’ordre de ranger son téléphone portable, au centre commercial.
Cette femme témoigne d’une agression subie en septembre dernier au centre commercial. Elle détaille l’absence de réaction des commerçants, la difficulté pour porter plainte, les nombreuses fois où on a refusé de la recevoir au commissariat. En sous-effectif, plaide le directeur de la police municipale, et il recommande de porter plainte, le cas échéant, à la gendarmerie ou auprès du procureur. J’ai pris une amende de 35 € pour ma voiture garée devant le commissariat, conclut-elle. Je voudrais quitter l’Île de Thau.
Un élu témoigne : » A mes permanences, et ça, ça m’attriste, étant donné que ce quartier est magnifique, la principale demande que j’ai, c’est de partir de l’Île de Thau. «
Les habitantEs, les éluEs déplorent, face à cette situation terrible, invivable, l’inaction des services publics, l’absence à la réunion du Commissaire, du Préfet… du Maire et réclament un commissariat dans le quartier, mais aussi plus de travailleurs sociaux, « et des médiateurs, des grands frères aux noms connus de tous, et qui soient respectés »
Un élu de l’extrême droite suggère qu’au delà des clivages politiques, tous les élus s’unissent pour obtenir le classement en zone sécurité prioritaire. Un ancien élu de gauche renchérit, et propose une réunion de crise avec le Préfet pour trouver des solutions rapides, face à cette véritable occupation du quartier. « Mais pas une réunion à la préfecture, non, une réunion urgente, ici, à l’Île de Thau, avec les membres du collectif, avec les habitantEs, soutenuEs par les éluEs. Il faut que la peur change de camp. Quand on a peur d’aller à la boulangerie, quand on est rançonné en sortant du tabac, (…) ce n’est pas seulement le deal, mais avec le deal, c’est l’occupation du quartier. Et ça c’est pas acceptable, parce qu’il n’y a plus de vie possible, ici. (… ) Je me dis qu’il faut du courage pour y rester. Au centre commercial, cette semaine, devant la boulangerie, à 10 h du matin, sur une table, il y avait, alignées, les doses de drogue, en plein jour. Et il y avait le pognon qui était empilé à côté. C’est pas supportable. »
La réunion dure plus de 2 heures. Nous sortons dans la nuit. A cinquante mètres, juste en face de la salle de La Seinchole, où se trouve encore le directeur de la police municipale, en compagnie des éluEs et de quelques membres du collectif, une voiture de dealeurs est postée, flambant neuve, moteur et phares allumés, crachant dans la nuit, à plein volume, du rap commercial. C’était un mercredi soir, à Sète.
On revient vendredi, toujours vaillantes, pour assister à la pièce de théâtre La Truelle, de Fabrice Melquiot, à La Passerelle. Une belle salle, bien équipée, pleine ce soir là. Un public plutôt jeune, et des collégienNEs. Le spectacle ne nous emporte pas très loin, peine à nous plonger dans la Calabre natale de l’auteur. Le parti pris pédagogique nous maintient à distance raisonnable de la Mafia, comme derrière un cordon sanitaire. La scènographie est encombrée, le comédien s’habille, se déshabille, sans vraiment incarner. Ce n’était pas du grand Melquiot.
On en sort déçues. Derrière le théâtre, dans le froid, le noir et l’humidité de cette nuit d’automne, un jeune guetteur, cagoulé et tout de noir vêtu, garde la passerelle. On allume les phares, on met le chauffage, on rentre en ville.