Faire reconnaître le travail de nuit à sa juste valeur, avec ses horaires et ses spécificités : tel est le combat de Nadège Azuara, aide-soignante et militante CGT dans les hôpitaux du bassin de Thau, à Sète.
Depuis dix jours, Nadège Azuara, aide-soignante, souffle. Le service de soins de suite et de réadaptation (SSR) les Pergolines des hôpitaux du bassin de Thau à Sète, où elle travaille depuis quinze ans, n’a plus de patients Covid. « Ils ont été regroupés au SSR gériatrique, à l’étage supérieur, où il y avait un « cluster ». C’est un vrai soulagement, tellement c’est compliqué à gérer».
D’autant que Nadège Azuara travaille de nuit seule avec une infirmière, qui normalement jongle entre les deux étages du service. Mais depuis la crise sanitaire, une seconde est venue en renfort. De quoi éviter les contaminations et mieux faire face aux imprévus qui traversent les nuits dans les couloirs silencieux. Il y a ces patients qui sonnent pour se faire accompagner aux toilettes, ces jeunes en fin de vie qui ont besoin qu’on les écoute longuement, ces morts dont il faut faire la toilette. Pas vraiment le temps de chômer ni même de s’assoupir. Et pourtant le travail de nuit reste le parent pauvre de l’hôpital. Un travail tenu pour « négligeable par la direction, et les confrères de jour», assure la toute nouvelle trésorière adjointe de l’Union locale CGT de Sète, élue au CHSCT et élue suppléante au comité technique d’établissement (CTE). Un militantisme assumé, dans lequel elle a plongé il y a une dizaine d’années. A l’époque, comme aujourd’hui, elle voulait défendre les acquis de ces travailleurs de l’ombre. Tout un monde, où le rapport avec les patients est différent.« J’aime la nuit. Nous ne sommes là que pour les patients, nous avons plus de temps pour eux, explique la jeune femme, qui adore ce métier qu’exerçait déjà sa mère qui l’a élevée seule avec sa grand-mère. Petite,elle en rêvait d’ailleurs déjà, mais en troisième, elle est en échec scolaire et doit renoncer à suivre la formation d’aide-soignante. Elle devient femme de ménage à la mairie de Sète. Avant d’intégrer, 5 ans plus tard, l’équipe de jour de l’hôpital comme femme de ménage, puis enfin l’équipe de nuit comme aide-soignante.
La nuit un vrai choix
Parallèlement, elle entame une validation des acquis de l’expérience (VAE) et réussit sans aucune aide ses 1O modules. Le travail de nuit, pour elle c’est « un vrai choix ». Elle est à 100% d’abord puis, quand son fils était petit, elle passe à 80%. « A temps plein, c’est quand même 15 nuits par mois et c’est très fatigant et compliqué pour la vie de famille, dit-elle. Surtout depuis la dégradation de la prise en charge et des soins et le manque de reconnaissance des aides-soignantes».
De quoi aussi dégager du temps pour mener son combat : faire reconnaître le travail de nuit à sa juste valeur. Avec ses spécificités et ses horaires : 10 heures par nuit avec un week-end sur deux, contre 12H journalier dans les autres services de l’hôpital. Un acquis que la direction cherche sans cesse à remettre en question. L’une des dernières fois, c’était en novembre dernier, en plein niveau III du Plan Blanc. L’hôpital était sous forte tension, avec beaucoup d’agents en arrêt de travail, et des soignants mobilisés alors qu’ils étaient positifs asymptomatiques. « La direction, qui avait oublié de faire tester les 6 personnes de l’équipe de nuit malgré le « cluster », a voulu nous faire passer à 12 heures pour pallier le manque de personnel, explique-t-elle. Pour l’équipe de nuit, très solidaire, c’était la ligne rouge. Alors, les temps partiels comme moi ont proposé de passer provisoirement à temps complet. Et nous avons été payés en heures supplémentaires ».
La direction joue les équipes les unes contre les autres
Depuis, en janvier dernier, la direction a remis à nouveau le sujet sur le tapis, en arguant que c’était une demande des équipes de jour, qui souhaitaient bénéficier d’un week-end sur deux, avec des horaires plus concentrés. « La direction ne dit pas les choses directement et monte les équipes les unes contre les autres », déplore la jeune femme. Elle va alors expliquer aux équipes de jour que l’on peut se battre ensemble pour obtenir un planning convenable. Et comment le passage aux 12H pour tous favoriserait les suppressions de postes. Entre-temps, l’union locale CGT a déposé le 21 janvier un préavis de grève sur différentes revendications du syndicat -suivi par 98% du personnel de nuit-. Le lendemain l’affaire était réglée. Jusqu’à quand ? « Le but de la direction, c’est de former des équipes polyvalentes, notamment pour supprimer les primes de nuit et tous les 3 ans environ le sujet est remis à l’ordre du jour », note Nadège Azuera. Une violence de plus contre les soignants qui n’ont pas besoin de ça. Et qui ne favorise pas le travail bien fait. « Les filles travaillant de jour, ont beaucoup de pression et finissent parfois par être blasées », constate Nadège Azuera. Le pire qui pourrait lui arriver. « Il faut rester bienveillantes, à l’écoute, malgré le manque de personnel et les conditions de travail dégradées, ce qui est encore plus vrai depuis la crise sanitaire », explique-t-elle. Un combat de tous les jours pour tous ces « invisibles », dont les trois quart sont des femmes.
Article paru dans Nouvelle vie ouvrière (NVO) en mars 2021.