« Vents contraires », souffle de résistance

Anita Wagner expose du 4 au 18 mars 2022 à l’Open Space. L’Ancre l’a rencontrée. Dans ses toiles, comme lorsqu’elle nous parle de sa peinture et de son parcours, il y a tant de force et de poésie que nous lui avons laissé carte blanche pour se présenter.

Open Space, 8 rue Garenne 34200 SÈTE. Vernissage le samedi 5 mars à 19h.


© Anita Wagner

Anita Wagner

Peut-être ai-je commencé à peindre simplement, mais sans hasard. 

Du naïf, des paysages et des portraits à travers ma liberté, devenus plus sombres, plus construits avec le temps.

Mon jeu de couleurs a donné lieu à six séries d’œuvres, chacune déclinée en douze tableaux annonciateurs d’étapes. 

« Le fil » raconte l’Espagne, mes ancêtres réfugiés. C’est un hommage à ma mémoire, à ma reconquête sensible de l’histoire espagnole. Faite de collages, de tissus et acrylique, elle représente l’histoire espagnole à travers la guerre d’Espagne, la Retirada, les camps d’Argelès.

« Le bleu sans alphabet connu » est la rencontre entre les lettres poétiques et les vastes nuances du bleu. Une explosion artistique et poétique autour de la couleur et surtout des bleus qui sont à la source de mon inspiration, comme le corps qui dans chacune de mes œuvres va apparaître. Tous les bleus sont concernés. C’est une invitation au voyage dans le bleu avec toutes ses nuances dans mon univers synonyme d’émotion. Je m’y suis affirmée par la matière et l’acrylique, le jeu est devenu je. J’ai cherché et je cherche encore le passage du sombre à la lumière, de l’obscur à la clarté, quête d’un absolu. 

« Destinerrance » a révélé avec évidence tout le chemin parcouru. J’amorce alors une peinture nouvelle, j’explore de nouvelles couleurs, je façonne avec de nouveaux outils. À ce moment, j’épure ma pratique qui s’approche de l’essentiel. Se connaître en s’exposant. Pour Destinerrance, le lieu de départ a été « la chapelle Saint Hippolyte », lieu de symboles, de recueillement et d’histoire. Chaque tableau représente une étape, comme celle d’un homme qui avance dans sa quête, et dans son errance : du sombre à la lumière, de la lumière au sombre : la dualité. Cette série a été le moyen de mettre en relief ma réflexion sur l’errance de l’âme et des hommes, entre le visible et l’invisible.

« La métaphysique du chaos » est annonciatrice de notre monde. Ordre et désordre. Acte politique de soi dans un abstrait du construit. Elle représente également les grands maux de notre civilisation.

Je souhaite retracer la place de la nature dans un monde de plus en plus industriel, et le poids de l’homme sur cette nature. En effet la nature contient, pour qui veut bien la contempler, la plus profonde des métaphysiques, la conviction qu’elle recèle un mystère irréductible sur l’existence. Pourquoi le chaos nous fait-il peur ? Après tout, le chaos n’est qu’un espace immense indifférencié préexistant à toutes choses et notamment à la lumière, où tout semble inorganisé, désordonné, confus et obscur. À travers ce projet, attirée en tant que peintre par l’obscure profondeur des abîmes et des âmes, cette Métaphysique du Chaos reste le cheminement de l’obscur à la lumière. Le monde, à travers mes peintures, devient en même temps ordre et désordre, cohésion et chaos sans lesquels il n’y aurait plus de fil conducteur.

Dans cette démarche artistique, j’interroge le chaos sous différentes formes, en les interrogeant au-delà des apparences matérielles dans une sorte de métaphysique. 

L’abstrait est devenu mon moyen d’expression artistique. J’y trouve un écho à mon rythme, à mes formes et à mes couleurs. 

« Confinement » est une combinaison de figurations et d’abstrait, de laquelle naissent des êtres aussi étranges que sont les habitants de cette terre, s’ils étaient soumis au regard inquisiteur d’un être suprême, autre que celui de leur créateur. Cette série est un retrait du monde vécu, l’ouverture à un imaginaire réjouissant.

« Vents contraires » est pour moi la nécessité de résister : résister dans ma peinture, résister pour débusquer l’humain là où on ne va pas le chercher. Il est toujours possible de voir dans mes peintures la référence humaine, de faire l’expérience en partant du sensible, voire de la simple sensation d’un visible insaisissable.

Couleurs

Mes peintures sont des couleurs en soi où l’autre essaye de se projeter. Que voit-il ? Un miroir de son âme, des lointains et urbains. Les hommes sont devenus invisibles à l’œil mais restent visibles à travers la lumière. 


Couleurs généreusement étalées ou bien empâtées. Couleurs primaires. La couleur est la matière même de ma peinture, la substance des choses, en même temps qu’elle constitue l’espace pictural. Les formes ne procèdent pas de ligne abstraite, d’une idée, mais sont pétries dans la matière dont elles sont faites. La couleur constitue la forme, de deux façons.
Dans un premier temps, elle me confère l’énergie qui la fait exister, exprimant la puissance sans laquelle elle ne saurait s’affirmer là. Plus tard, c’est toute ma toile qui sera habitée par la couleur, comme traversée par des flux d’énergie divers, la forme apparaissant alors comme une concrétisation singulière ; j’entends par là qu’elle relèverait simplement du « on », de ce pré-individuel, anonymat dans lequel on ne croit se retrouver qu’à condition de se perdre.

La lumière ne provient pas d’une source extérieure, transcendante. Inséparable de l’ombre, elle est mode d’exploration, d’investigation de ce qui s’expose sur ma toile, immanente aux formes et à l’espace dont elle est une expression. 

La toile devient mon territoire imaginaire que le spectateur est invité à parcourir, à explorer, voire habiter.

Territoire 

Il naît par une simple étendue, une composition de lieux différenciés, hiérarchisés, espace de cheminement, d’ancrage, d’appartenance. La surface peinte expose un parcours, que j’ai habité, et la touche nous en montre les traces et le rythme ; parcours de l’œil qui n’est pas contraint ni guidé, mais qui simplement sait ne pas être le premier occupant, ne pas être seul dans son cheminement.

Résister dans ma peinture : 

Résister, pour débusquer l’humain là où on ne va pas le chercher, tel est la rage qui m’anime. La peinture est pour moi une manière de penser : ma sensibilité, mon imaginaire se conjuguent avec réflexion. Le rapport que j’entretiens avec l’abstraction est troublé. Il est toujours possible, comme les titres eux-mêmes l’évoquent souvent, de voir dans mes peintures la référence humaine ; de faire l’expérience, en partant du sensible, voire de la simple sensation, d’un visible insaisissable. 

« Cerné par la haine, j’ai appris qu’il y avait en moi un amour invincible, cerné par les larmes j’ai appris qu’il y avait en moi un sourire invincible, cerné par le chaos, j’ai appris qu’il y avait en moi un calme invincible. Aussi fort que le monde pousse contre moi, il y a en moi quelque chose de plus fort, de mieux poussant en retour « . (CAMUS)