Ce qui nous porte chez cette jeune femme, c’est son esprit pétillant, intelligent, sa force vive. Chloé, jeune philosophe, a la sagesse de celles et ceux qui ont cheminé. Comment dans le monde actuel, concilie-t-elle philosophie, jeunesse et être une femme ? Quel est son regard philosophique sur notre monde ?
Chloé a commencé tôt dans la vie à s’imprégner de la philosophie. La question qui l’a habitée et qui l’habite encore est existentielle. « Pourquoi tout plutôt que rien ? » Elle a choisi la philosophie comme « compagnonne » de route. Elle souhaite comprendre mieux le monde en quête d’une place, trouver une concorde, une harmonie. « Que peut-on faire ensemble, qui suis-je ? » Elle apporte des questions à d’autres questions : le moi avec d’autres moi, dans le tout du monde. Le grand questionnement fait partie de sa quête philosophique.
Ses inspirations philosophiques
Chloé a ses auteurs philosophiques préférés, sources d’inspiration d’une réflexion sur le monde et l’Autre. Elle s’est intéressée à la conception du temps dans sa durée mais également dans le rapport au temps vécu à travers Henri Bergson (1859/1941), philosophe Français et son ouvrage La Pensée et le Mouvant (Bergson considère le temps réel comme étant la durée et cette durée correspond au temps vécu). Avec L’être et le néant de Jean Paul Sartre (1905/1980), qui questionne notre conscience et notre liberté dans le rapport à autrui, elle s’interroge sur l’être en soi. Avec l’auteur Merleau Ponty dans Le visible et l’invisible, elle s’intéresse aux questions de phénoménologie et les pensées qui ne sont pas systématiques : interroger l’essence même de la philosophie, et questionner l’identité. Elle cite l’exemple du rapport à la main, qui n’est pas un outil mais une partie du prolongement de notre raison qui accompagne notre action. Elle déplore le peu de place laissée aux philosophes femmes dans le cursus universitaire « il faut les chercher et les étudier soi même » . « Hannah Arendt a écrit Eichmann à Jérusalem, et sa notoriété est liée à cet ouvrage car elle a montré comment Eichmann avait mal utilisé l’impératif catégorique kantien, et c’est justement ça qu’elle déplore alors qu’il y a tant à apprendre d’ elle ».
À nous de jouer !
Chloé est habitée par la question de la femme, et le fait d’être femme. Elle avait une vision du féminisme qui n’est pas laudative. En premier lieu pour elle être philosophe et femme, c’est questionner le rapport à l’espace. En effet s’approprier un espace public en tant que femme, c’est s’interdire d’autres espaces où notre société met en jeu des espaces inconscients, vu comme des dangers de l’autre masculin, véhiculés par des représentations archaïques. Pour Chloé la philosophie est un moyen de réappropriation de l’espace enlevé aux femmes et de son corps hors objet sexuel. Dans sa pensée philosophique, Chloé se libère de l’espace archaïque prédéfini de la place de la femme dans nos sociétés.
Jeune, philosophe et femme : « À nous de jouer » dit-elle . « C’est à nous qu’appartient ce présent à remodeler, cette société ». Pour elle et sa génération, la jeunesse est en ébullition, ce sont les prémices d’un passage à l’action dans un élan contestataire. Les schémas inculqués par d’autres générations ne leur parlent plus. Elle s’inspire de Rousseau (Second Discours), où le corps social est censé être un Moi commun. La société doit se comprendre comme un corps avec des organes qui fonctionnent ensemble, non pas seulement comme individuels. La philosophie doit aider à la réflexion politique : « lisez Rousseau » lance-t-elle comme un cri d’ alarme.
Soi face au monde.
Aussi lie-t-elle ce sujet avec la notion de liberté qui est intrinsèquement liée à la notion de société. Est-on libre aujourd’hui à 23 ans ? Elle repense la notion de liberté par la philosophie. La liberté est de réussir à faire corps avec le monde. Naître au monde et être bien dans le monde c’est ce vers quoi il faut tendre. « C’est dur d’être libre, et on est condamné à être libre ». En lien avec Sartre qui a écrit « La Liberté, ce n’est pas de pouvoir ce que l’on veut, mais de vouloir ce que l’on peut. » Dans le contexte actuel, on revient sur ce qu’on avait conçu comme liberté, en lien avec une contrainte ramenée à une primitivité (Hobbes). La liberté est à construire et à conserver, elle se cherche, elle ne se veut ni acquise, ni innée. Selon elle il faut la saisir car la liberté c’est à soi. La liberté, c’est donc soi face au monde.
La vision du monde de Chloé est un sentiment angoissant. C’est à l’heure actuelle des vérités établies qui s’effritent : « ce qu’on prenait pour vrai n’est plus ». Elle en vient à penser le monde avec une tentative d’empathie avec les uns et les autres. Elle parle d’une certaine violence, qu’elle ne souhaite pas, en tant qu’individu pour déconstruire la société actuelle. La difficulté de parler ensemble, avec un dialogue entre paroles dites et entendues, c’est l’image de notre société. La transition entre les deux mondes, celui de maintenant et celui d’après passera, pour elle, par la projection vers l’autre, l’humanité. Se fera-t-elle sans violence ? À cet égard elle voit en Adorno, philosophe, un outil pour mieux comprendre cette société, qui pose la rationalité au monde comme réponse à l’angoisse. « Mais on en oublie les réalités charnelles derrière la raison » dit-elle.
Philosophie du Rap : l’esthétique du langage
Étonnante Chloé lorsqu’elle nous parle de la philosophie et du Rap qui a fait l’objet de son Master 2 . Ce qui l’a intéressée est l’esthétique du langage dans le Rap : ordinaire, poétique, avec des néologismes. La philosophie et le Rap s’associent dans les manières d’être, déroger à une bienséance physique et comportementale. Ils ont tous deux à dire des choses qu’on ne sait pas entendre : le langage d’amour, d’amitié, du rapport à la femme, critiquer et dénoncer. C’est également le lien qu’elle fait avec la philosophie : comprendre les représentations et les interactions entre humains. Dans l’un ou l’autre on reproduit le sampling (mélange de sons), mélange à l’autre.
Chloé philosophe de l’âme, du féminin, de la liberté, des autres et de soi, chemine dans les rues de Sète avec sa compagnonne sur des portes qu’elle ouvre, qu’elle ferme, des chemins lisses ou escarpés.
Chloé a 23 ans et la vie pour répondre à sa quête philosophique.