Les chroniques de Madam’Cook/Galapagos Island / Pacifique / Arctic Sunrise/00°32 S / 90°43 W

Suite du voyage extraordinaire de notre cuisinière préférée embarquée sur l’Arctic Sunrise, illustré avec toute la fantaisie et le talent de Max Marlou.

Salut la compagnie,

Comment ça va ? Comment ça va à l’intérieur de ta tête et partout dans ton corps ? Comment ça va en Isère ? Comment ça va en Ariège ? Et comment ça va à Sète ? J’écris du bout des Galapagos et y a comme un air de carnaval sauvage ici aussi. On a abordé à Puerto Ayora, sur l’île de Santa Cruz y a déjà une bonne vingtaine de jours. Oui, c’est vrai que je tarde un peu à raconter. C’est que les temps sont sur-occupés. Quand je cuisine pas, j’ai mille trucs à observer, à dessiner, à questionner et à contempler. Pour la faire courte (parce qu’on sait que je vais écrire « quelques » lignes ensuite), les Galapagos c’est un zoo géant sans enclos autour des tortues mastodontes, c’est un aquarium infini sans vitre entre toi et les requins, c’est un safari sans pancarte « Passage interdit ».
A l’embarcadère, c’est facile de repérer qui arrive pour la première fois ici. Tu fais pas deux mètres sans t’être extasiée vingt-huit fois parce qu’une tortue marine nage paisiblement dans l’eau turquoise, qu’elle est entourée de bébés requins, parce qu’un pélican surmonté d’un autre oiseau avale goulûment un poisson, que juste là, des otaries plongent en arrondissant leur dos, ou plus loin trois autres dorment à l’ombre sur un banc public. Et puis juste après, un groupe de raies barbote au gré des nuages de mini-sardines. Et encore, t’as rien vu, t’es toujours sur le ponton de l’embarcadère. Et t’as déjà pris tes premiers coups de soleil. 

Et Darwin, il s’est dit « tiens dis donc »

Pour atteindre Tortuga bay, une immense plage de sable blanc, on a suivi un chemin bien délimité. Oui, la touriste (parce que pour l’instant, c’est ça) est guidée et jamais laissée à elle-même. C’est cadré mais c’est authentique : ce sentier est bordé tout du long de centaines de cactus de près de deux cents ans dont le tronc mesure au moins quarante centimètres de diamètre et l’écorce est incroyable de rides. Et la première question qui m’est venue, c’était de savoir s’ils avaient vu Darwin. Alors oui, re-situons si les Galapagos doivent pas mal, si ce n’est tout, à Darwin, en terme de notoriété, business, protection environnementale, réserve naturelle, attraction scientifique et inscription au patrimoine de l’Unesco. C’est en 1835 qu’il est passé par-là. Et à l’époque, il a pas mal halluciné sur la richesse de la biodiversité du coin. Il arrivait de loin, plusieurs années de voyage à bord d’un voilier pas si grand, le Beagle, en provenance du Cap Horn . Et avant de rejoindre les côtes américaines, il s’est retrouvé à faire escale aux Galapagos. L’archipel était sur cette route maritime vachement empruntée, à l’époque où le canal de Panama n’existait pas. Et Darwin, le truc « qui a fait que », il s’est dit « tiens dis donc » et la suite, on la connaît (« l’origine des espèces », la théorie de l’évolution, tout ça tout ça, la sélection naturelle), bref ! Ce « qui a fait que », c’est qu’il a observé des iguanes a-qua-tiques. Alors avant d’arriver ici, je m’en étais fait une image de ouf de ces fameux iguanes. Genre, je pensais (et je sais pas si je suis la seule mais je crois pas, si ?) je pensais que ces iguanes étaient hyper balèzes. Et bin, pas du tout. En fait ils sont plutôt chétifs. Moins d’un mètre. Tout tranquilles. Noirs. Pas du tout vert foncé. Noirs. Avec une bonne tête de punk. Et ils expirent du sel par des petits cratères qu’ils ont sur le front. Donc Darwin, il avait déjà rencontré pas mal d’iguanes dans son périple autour de l’Amérique mais jamais, jamais, il n’en avait vus qui savaient nager. Alors l’histoire qui résume son idée d’évolution, et bin c’est que ces iguanes qui se sont retrouvés là, sur ces îles volcaniques éloignées de 1000 kilomètres du continent (ils seraient arrivés sur des radeaux de végétaux) et bin quand la lave a envahi les terres émergées de ces îles, ils ont dû se carapater pour pas se faire cramer les pattes et ils ont appris à trouver des trucs à manger sous l’eau. Et ils sont devenus aquatiques au fil des millénaires (oui, les Galapagos, c’est une histoire de plaques tectoniques, de volcans, mais c’est pas des millions d’années, plutôt des 150 000 ans, un truc récent en terme géologique) . Ce qui fait des spécimens d’iguanes d’aujourd’hui, une espèce endémique. Qui n’existe qu’ici. Et les Galapagos, c’est un sanctuaire d’espèces endémiques. Les tortues terrestres appelées « tortoises » en anglais (celles qui ont vu Darwin comme les cactus donc) et pas « turtles » (ça, c’est pour les tortues sous-marines), les iguanes, les pinsons et autres cormorans aux ailes atrophiées et tout un tas d’autres bestioles terrestres et sous-marines sans parler des espèces végétales, vivent uniquement ici. Ne sont uniquement observables qu’ici. D’où l’inspiration grandeur nature de Darwin.

Oui, alors, en vrai, je suis ni guide naturaliste, ni touriste, ni historienne des sciences mais payée par Greenpeace pour nourrir une bande de marins et de campaigners venus en mission scientifique aux Galapagos pour qu’une large zone ralliant l’inestimable richesse de ces îles au continent, soit inscrite dans le tout nouveau Traité de protection des Océans. Alors je raccourcis pas mal mais c’est déjà ça d’expliqué. Et en attendant de s’y mettre, on a eu quelques jours pour s’imprégner de ce lieu de nature magique. Perso, moi ce qui me faisait rêver, avant d’arriver ici, à part les requins-baleines (mais ça c’est pour le prochain épisode), ce que je voulais observer absolument de près, ce sont les « blue footed-booby ». Des oiseaux qui s’appellent des fous à pattes bleues en français. Alors c’est pas la première fois qu’on discute  « booby ». Ces oiseaux marins vivent dans tous les océans du monde et revêtent leur style en fonction de leur région d’attache. En Atlantique Nord, ce sont les fous de bassan. Le long du Mexique, y avait des « red-footed booby », et puis dans les Caraïbes y a des « masked-booby » et par ici se trouvent aussi les » Nazca booby ».

Alors voilà, y a une semaine, j’installe mon matelas de yoga sur le helideck, j’ai encore les yeux fermés (on commence de bonne heure en ce moment à cause de la chaleur, le repas a été décalé à 11h30, mes collègues mettent les zodiacs à l’eau vers 6h, bref) et je commence mes étirements. Et puis j’entrevois un booby qui vole franchement pas loin. Je continue, la montagne, j’inspire, chien tête en-bas, j’expire et prouaaaaf, l’oiseau se pose là. Comme les phoques de l’embarcadère, il n’a que faire de la distance réglementaire (2 mètres) qu’on doit respecter vis-à-vis de la faune sauvage. Il tape ses pattes sur le sol et me regarde avec la tête penchée sur le côté. Alors je lui dis « salut ». Et j’ai la chance d’observer de super près ce gars-là avec ses pattes bleues. Donc les  « booby », appelés « blue-footed booby », « patas azules » en espagnol ont les pieds bleus parce qu’ils mangent des sardines bleues (et siiii ! comme les flamands avec les crevettes roses, c’est une scientifique qui me l’a dit !) et plus tes pieds sont bleus, plus t’as la classe et si l’univers a pas décidé que tu resterais sans amour à quarante-deux ans et bin t’as de bonne chance de trouver « a partner » (en anglais). En fait, j’étais pas tranquille. Son bec, un peu bleu aussi, avait l’air plutôt béton de près. Et il avait vraiment l’air, le booby, d’avoir un truc à partager ou à exprimer, quoi. Je sais pas. Il a finalement volé jusqu’à un autre endroit du bateau. J’ai lâché les salutations au soleil et j’ai chopé mes aquarelles. Peut-être que je m’emballe et que ça paraît banal comme anecdote mais ça m’a remplie de joie et d’idées pendant plus de deux jours cette histoire.

Bleues les pattes des boobies

©max marlou

Bleues les pattes des boobies, bleue la mer, bleu le ciel, bleue la crème des mini-bägels que j’ai façonnés ce jour-là et bleue aussi une espèce d’étoile de mer endémique des Galapagos. En terme de couleur, y a pas que pour les aquarelles que c’est prenant les Galapagos. Les sables et les rocs aussi sont explicites. Noir, rose, violine (comme disait ma grand-mère), ocre, vert et blanc comme les chiures de booby. Pareil pour les iguanes, ils ne sont pas tous noirs. Y en a aussi des verdâtres, des jaunes, et des roses avec des tâches noires comme les vaches. Mais je ne les ai pas vus. Ils sont sur des îles volcaniques qui ne sont pas accessibles. En fait, on a fait les touristes que sur une toute petite partie de l’île de Santa Cruz. Le reste du temps, on est sur le bateau, en mer. 

Une bonne tête d’ado avec de gros yeux tout gentils


Alors voilà, qu’est-ce que Greenpeace est donc venu faire aux Galapagos ? Pourquoi une telle expé ? Maintenant que j’ai vu, je peux dire que le coin n’est pas si paumé que ça, y a quand même pas mal de gens ici, des voiliers, un peu mais pas trop, des bateaux de touristes, pas des masses mais quand même et puis c’est vrai, y a pas de supermarché, et les zones habitées sont hyper limitées mais y a deux trois restos quand même. Après, l’accès aux îles est strictement réglementé : pas moyen de se balader librement. Tout l’archipel est cloîtré « Parc National ». D’ailleurs, un « park ranger », une personne portant l’autorité du parc est avec nous, à bord, en permanence ( Ricardo, il s’appelle, même qu’il a dit qu’avec des repas comme ça, il était d’ac de devenir végé ! et si!). Oui, alors, je reprends : c’est une première pour l’ONG d’avoir demandé ce permis scientifique. Et c’est en collaboration avec des scientifiques locaux qui cherchent à multiplier les données sur la densité et la qualité de la faune et de la flore dans le but qu’une zone plus large soit protégée. En fait, des requins marteaux, des requins bleus, des requins tigres, des requins « treshers » (je ne sais pas le nom de celui-là en français mais c’est le plus classe (il a une queue avec un aileron pointu ultra-grand et effilé qui lui donne un air stylé-de-ouf, comme il dirait s’il était connecté avec des ados, d’ailleurs il a une bonne tête d’ado avec de gros yeux tout gentils), des requins-baleines, des tortues marines, des raies mantas (olala, j’en ai vu une l’autre jour, elle a bondi cinq fois hors de l’eau, à cinquante mètres du bateau, elle faisait des doubles back-flip, deux tours-roulades sur elle-même, la tête en avant, la mer était lisse, c’était 10 h du mat et je prenais l’air deux minutes à l’avant du bateau, ça s’est joué à pas grand chose, comme ça, en silence et splaaaach. J’avais les jumelles et j’ai halluciné qu’elle le reproduise cinq fois !) bref, toutes ces espèces emblématiques sillonnent les lieux en nombre. C’est connu des scientifiques mais elles se déplacent dans un périmètre beaucoup plus large que seul celui des Galapagos. Et les études recoupées avec les prises des gros navires de pêche donnent une idée du désastre : les zones hauturières situées entre la réserve des Galapagos et le continent sud-américain (à l’est donc) ou entre les Galapagos et l’Amérique centrale (au nord) sont fatales. Il faudrait un sanctuaire quinze fois plus grand que la seule réserve des Galapagos pour assurer le confort de vie de ces magnifiques géants des mers.

Requins marteaux ou requins tigres

On a d’abord navigué entre les îlots et les rocs qui sortent tout droit de l’eau autour de l’île de Santa Cruz. Comme je l’ai décrit la dernière fois, mes collègues mettent à l’eau à heures choisies et plusieurs fois par jour des BRUV, ces espèces de cadres métalliques équipés de caméra go pro et d’une boîte à sardines pour attirer les requins. Plus de 200 heures de vidéo ont été enregistrées puis visionnées pour capter les quelques minutes où se pointent un requin marteau par là, ou un requin tigre par ci. Mais pas de « tresher » encore observé. Beaucoup de tortues qui volent pas loin et des phoques. Des caméras capables d’aller à des profondeurs de plus de 200 mètres ont aussi été déployées, ça s’appelle des ROV (arovi en phonétique). Pendant plusieurs heures, les gars spécialistes de ces technologies là scrutent en direct sur leur écran ce que filme leur engin relié par un câble jaune. Ils dirigent la caméra avec une manette de Playstation. L’idée : observer le sol sous-marin, trouver des nouvelles zones recouvertes d’un certain type de corail ou d’un certain type d’algue, et observer au passage des phoques, des tortues et des requins. Et c’est comme ça qu’une bande de requins marteaux, genre huit, sont passés paisibles à proximité. Ils patrouillent souvent dans ce quartier, l’île Wolf. Alors il faut quand même se dire que la visibilité sous l’eau, c’est pas ça. 

Dans les jumelles j’ai vu la lave serpenter.

Vers 4h du mat, un lundi, on est passé près d’une île qui s’appelle Fernandina où le volcan La Cumbre était en éruption. Un spectacle pas commun et surtout pas facile à prendre en photo, ni à dessiner d’ailleurs (pas de frontale autorisée pour s’éclairer, noir total, les journalistes enregistrent). Dans les jumelles j’ai vu la lave serpenter. C’est vrai que c’est joli mais ça m’a surtout fait penser aux iguanes. On est aussi allé tout au Nord de l’île d’Isabela qui a une forme d’hippocampe. Là, ont été croisés des mola-mola, ces poissons énormes, sunfish en anglais, poissons-lunes en français, pas très bien profilés en vrai. Leur peau est rugueuse comme du papier de verre et leur bouche béante. Ils mangent des méduses et étaient plus d’une centaine, un matin à l’aube autour des zodiacs.  
Ah oui, y a un truc que j’ai failli oublier de mentionner et qui fait que les Galapagos ont un tel succès pour tout ce qui est espèce sous-marine de grande classe : ce sont les différents courants qui interfèrent ici, qui se rencontrent pile-poil ici. Alors ils ont des noms spécifiques mais là c’est tard et je suis vachement plus calée en terme de noms de légumes exotiques. Mais j’ai compris qu’y en a un qui s’appelle Humbolt et qui est carrément froid. Et même que j’ai nagé dedans, par hasard, à Santa Cruz. Il amène avec lui pas mal de micro-organismes et mêlé aux autres, ça crée une richesse de nutriments extra et c’est le début de la chaîne d’alimentation de tout ce petit monde. Alors perso, je ne les ai pas vus ses fameux pingouins qui se régalent de ce courant, enfin, si, je les ai vus, après, mais j’étais pas dans l’eau. C’est l’espèce de pingouin la plus nordique au monde (bien sûr endémique des Galapagos). Y a des images d’eux sur le net maintenant parce qu’ils se sont pointés quand mes collègues tournaient des vidéos avec Alba Flores. Elle est venue à bord de l’Arctic Sunrise pendant une semaine en tant que « key influencer », c’est le terme dans le jargon Greenpeace. C’est une actrice, elle joue dans la série Casa de Papel. Et elle a brandi des messages sous l’eau pour que ça s’entende davantage : Ocean are life / Protect the ocean / Ratify the treaty. Alors les pingouins, ils ont profité de l’occase. Comme une jolie raie et puis une tortue. A part ça, Alba, elle a kiffé ma bouffe ! Et si ! Oui, je me la raconte un peu, au passage, ça faisait longtemps. Elle a dit que c’est ce qu’elle avait préféré dans sa vie quotidienne ici. Cette nana est juste sympa d’avoir donné de son temps pour poser mille fois avec les messages de Greenpeace. Elle ne voulait pas partir. Notre quotidien l’a emballée.

C’est vrai que si j’écrivais plus souvent, je serais plus précise sur plein d’autres moments et je pourrais raconter des recettes de « Peanut-coco veggy stew » ou de « mango salad ». Je pourrais aussi évoquer davantage comment ça se passe le pilotage du bateau ou les prises de décisions pour organiser les journées, mais c’est déjà méga long comme mail. Et j’ai envie d’aller dehors pour ne pas laisser filer cette chance de respirer l’air de ce coin du monde. Il fait noir étoilé et les « swallow-tailed gull », des mouettes à queue d’hirondelle patrouillent tout autour du bateau comme chaque soir. Elles sont blanches avec un triangle gris sur le dos, une tête noire et un oeil rouge. Surtout, elles sont nocturnes et…. endémiques. Encore une espèce bien spéciale. Qui vit en groupe. Au bout des Galapagos. A bientôt. Bisous. Laurence