Haro sur les plastiques

Recenser les zones de pollution plastique au cœur de l’océan Pacifique. C’est l’aventure qu’a vécu Géraldine le Roux, ethnologue, sur un voilier 100% féminin.  De quoi, une fois revenue à terre, devenir une ambassadrice enthousiaste d’un monde sans plastiques.

Quoi de plus beau que de réaliser l’un de ses rêves d’enfant ? C’est ce qui est arrivé à Géraldine Le Roux, ethnologue à l’Université de Bretagne occidentale à Brest, quand elle a embarqué le 9 mars 2020 à bord de TravelEdge. Le voilier de 21 mètres qui a débuté son tour du monde de 2 ans à Plymouth en septembre 2019, vient de faire escale sur l’île de Pâques et doit repartir en direction de Tahiti. Une traversée du Pacifique que Géraldine Le Roux va accomplir avec 13 autres femmes venues de tous les horizons. Elle ne les connaît pas encore. Mais leur mission est passionnante : recenser à l’aide d’outils scientifiques – auxquelles elles vont être formées sur le bateau -, les zones de pollution plastique, la toxicité des résidus et leur impact sur la flore, la faune et les populations. Une expérience forte qui doit leur permettre de se rendre compte par elles-mêmes de l’ampleur des dégâts et d’identifier des solutions possibles. À charge pour elles, une fois de retour sur terre, de devenir les ambassadrices d’un monde sans plastique. 

À l’origine de cette grande aventure humaine organisée par eXXpedition, un collège coopératif à but non lucratif cofondé en 2014 par Emily Penn, une britannique, communicante, skippeuse et spécialiste de la pollution marine et Lucy Gilliam, une biologiste. Les deux jeunes femmes ont déjà 11 expéditions à leur actif. La douzième ce sera ce tour du monde. Emily Penn, qui est du voyage, veut réunir une communauté de femmes engagées et inspirantes de tous horizons, aux compétences variées. Pour les dénicher elles lancent des annonces sur internet. Géraldine le Roux tombe dessus une nuit d’insomnie en Indonésie, où elle s’est isolée pour écrire un livre sur les Ghostnet du nord de l’Australie. Cet art fabriqué à partir de macro déchets plastique issus des filets de pêche est depuis une quinzaine d’années sa passion et son sujet d’études. Séance tenante, elle remplit le dossier. Et, contre toute attente, elle est l’une des 300 élues choisies parmi les 10 000 candidates de 40 nationalités qui ont postulé. Pour cette bretonne, c’est comme l’aboutissement d’un long trajet qui va la mener de ses études en Australie et en Océanie à l’observation des « vortex » océaniques, des tourbillons naturels dans lesquels s’engouffrent les déchets, composés essentiellement de micro-plastiques dégradés sous l’effet du soleil et de l’eau de mer. Ils forment une sorte de « soupe » infâme qui flotte à la dérive sur les océans. Elle va également enfin pouvoir aborder, pense-t-elle, sur l’archipel des Pitcairn, un lieu mythique en plein milieu du Pacifique à 5000 kilomètres du Chili et à 5000 kilomètres de Tahiti. Il est prévu que l’équipe s’y arrête pour faire des relevés terrestres.  Mais son rêve va finalement s’écraser sur la réalité, pour cause de pandémie. Mais, nous n’en sommes pas encore là. 

Un voyage qui ne sera pas de tout repos 

Pour l’heure, Géraldine Le Roux découvre l’île de Pâques et les femmes avec qui elle va partager le voyage. Il y a là une tatoueuse, une mannequin australien diplômée en biologie marine, une journaliste qui doit tourner un film sur l’expédition, une ambulancière, spécialiste de plongée qui a travaillé dans la finance, des scientifiques, une spécialiste de la gestion des déchets toxiques, une autre de l’économie solidaire, les skippeuses professionnelles…. En tout 14 femmes de 22 à 72 ans. Elles ont trouvé des sponsors pour financer les frais d’inscription. Une fois à bord, elles seront considérées comme des membres d’équipage à part entière. Une vraie vie de marin rythmée par l’océan, sa houle, ses tempêtes éventuelles et les tâches à accomplir. C’est la huitième étape de TravelEdge pour un parcours prévu de 38 000 miles nautiques au total. Heureusement, constate Géraldine Le Roux en grimpant à bord, le voilier, un ancien navire de l’armée britannique construit pour des expéditions dans le grand nord, paraît vraiment solide. Rassurant pour cette bretonne et ses camarades, dont beaucoup sont novices en navigation. D’autant que le voyage ne sera pas de tout repos, comme le constate tout de suite les co-équipières. Dès le premier soir, Emily Penn, cherchant peut-être à détourner l’attention des novices de la violente houle qui secoue le navire, présente les outils scientifiques. C’est la première soirée studieuse d’une longue série. Car la fine équipe, aux profils complémentaires, n’est pas là pour s’amuser. Selon le principe de la « science participative », il faut non seulement mener les expériences mais aussi apprendre au cours des soirées à se raconter devant tout le monde, étudier de près ce qui génère la pollution, se mettre au fait de l’économie circulaire, réfléchir à son mode de vie à terre, aux polluants organiques persistants. Voire se couper une mèche de cheveux pour la faire analyser. Les filles s’exercent aussi à la parole en public pour pouvoir partager leur expérience avec le plus de monde possible et promouvoir l’économie circulaire et le recyclage une fois revenues à terre. 

Et la pandémie mondiale frappe   

Mais la pandémie mondiale est là. Et cela va changer pas mal de choses. Alors que les 14 « sea sisters » ne sont encore qu’à une semaine de leur route, qui devait s’achever le 1er avril 2020, les nouvelles tombent. La course folle de notre planète est comme suspendue. À bord, pendant quelque temps, c’est un peu la déprime. Car face au voilier, à des milliers de kilomètres, il n’y a que de petits îlots qui ferment leurs frontières les uns après les autres. Dès lors où trouver un refuge ? Cela n’empêche pas les co-équipières de rire, jaune parfois, tout en assurant leur travail scientifique. Tous les jours, elles posent le filet manta et prélèvent  à l’aide de la bouteille Niskin, un ingénieux instrument à prélever les micro-plastiques, des échantillons d’eau de surface jusqu’à 32 mètres de profondeur. « Nous avons sorti d’une eau transparente des confettis de plastique, alors que nous étions à des milliers de kilomètres de toute terre, explique Géraldine Le Roux. Mais au fil des miles abattus, nous n’avons rencontré aucune île déchet ou continent plastique. C’est de terre que vient le problème ». C’est aussi à terre dans un laboratoire de Plymouth que les données traitées sur le bateau à l’aide d’un microscope spectromètre, seront envoyées dès que possible. Mais pour l’heure, le bateau ne fera plus escale nulle part.  Et l’expédition s’achève dans un huit clos nautique au bout de 17 jours, au lieu des 22 jours de navigation prévus à l’origine. Au large des îles Pitcairn, celles que l’on n’approche en principe qu’une « fois dans sa vie », pour Géraldine Le Roux et ses « Sea sisters » la frustration est totale : interdiction d’aborder et de mener l’étude prévue. Et, à la troisième semaine de navigation, sur fond de nouvelles du monde catastrophiques, les choses s’accélèrent. La chef de bord décide de passer au moteur et restreint la nourriture. Son objectif ? Arriver le plus tôt possible en Polynésie française. Sans même savoir si l’équipage pourra débarquer. Ce sera finalement le cas. Et après 24 heures confinées à bord, les femmes seront directement conduites à l’aéroport, sans avoir rencontrer personne. Très dur sur le moment. Aussi bien pour Géraldine Le Roux et ses camarades que pour l’équipe féminine qui devait rejoindre le bateau pour entamer le 9e tronçon d’eXXpedition – sur 30 prévus à l’origine. Car Emily Penn et son équipe ne le savent pas encore, mais ce sera la dernière étape, le bateau n’ayant finalement pas pu repartir. Vraiment dommage. Mais pour toutes celles qui ont pu vivre cette aventure, l’expédition s’est révélée inoubliable. « En 6 mois d’expédition, 15 000 miles ont été parcourus par 80 femmes qui ont mis le filet manta à l’eau 80 fois, la bouteille Niskin près de 90 fois pour près de 72 études réalisées à terre, explique Géraldine Roux. C’est une expérience inoubliable. Nous avons appris à être des ambassadrices du défi plastique. Une communauté de femmes vraiment inspirante ». 

Entretien avec Géraldine Le Roux 

Le 8 octobre dernier, Géraldine Le Roux, maître de conférence et co-directrice du département d’ethnologie de l’université de Bretagne occidentale, était à Frontignan pour un éco-dialogue, organisé dans le cadre du festival de Thau. 

L’Ancre : Comment avez-vous vécu cette expédition ? 

Géraldine Le Roux : « J’ai adoré. C’était une vraie traversée du Pacifique. On était complètement seules. En 17 jours, nous n’avons croisé que deux bateaux. Avant d’embarquer, il y avait eu une très grosse tempête et les premiers jours nous étions toutes malades. Mais comme nous étions toutes des membres d’équipage, il fallait assurer les tâches à bord malgré tout. Nous dormions 4 heures par nuit avec une nuit complète tous les 3 jours et une douche tous les 3 jours. Nous pêchions et nous mangions du poisson, surtout quand la pandémie est arrivée et que nos vivres baissaient dangereusement. À un moment donné, on a failli ne pas pouvoir mettre pied à terre. Puis finalement, on a pu débarquer. C’était fatigant physiquement et émotionnellement, mais je n’ai qu’une envie : repartir ».

L’ancre : Quel est votre plus beau souvenir ? 

Géraldine Le Roux : « En général, il n’y avait pas beaucoup d’oiseaux. Mais, alors que nous étions encore à 2000 kilomètres des îles, un petit oiseau blanc seul, épuisé, est venu se poser sur le bateau. Le lendemain nous avons pêché un thon que nous avons disséqué pour voir s’il y avait du plastique dans ses entrailles. Nous n’avons pas pu en détecter, mais par contre nous avons trouvé des crevettes que nous avons données à l’oiseau qui a ainsi repris des forces et est reparti. C’est un très beau souvenir ».

L’Ancre : pourquoi avoir écrit un livre sur cette expédition ? 

Géraldine Le Roux : « J’ai voulu écrire un livre de science incarnée avec beaucoup de photos. Ce sont des extraits d’un journal intime avec des explications sur ce qu’est cette pollution. Je ne cherche vraiment pas à culpabiliser les gens. J’essaie de montrer comment avec de petits gestes quotidiens, on peut réduire la pollution plastique. Car l’enjeu pour la planète et pour la santé humaine est très important. Notre voyage, c’était aussi une nouvelle forme de voyage, avec des femmes qui sont des “madame tout le monde”. La différence, c’est que maintenant nous allons agir, chacune dans notre milieu, pour tenter d’inciter tout le monde à réduire sa consommation de plastique. Ainsi Meraki, la tatoueuse anglaise, a établi une charte du tatouage quelle diffuse dans son milieu. Bonita, l’ambulancière sensibilise les infirmières pour qu’elles trouvent des moyens d’utiliser moins de plastique. De mon côté, j’anime des conférences pour parler de notre expérience. L’idée, c’est de toucher un maximum de gens. Mon engagement est continu. » 

À lire : « Sea Sisters, un équipage féminin à l’épreuve de la pollution dans le Pacifique » de Géraldine Le Roux, éditions Indigènes. www.indigene-editions.fr.  

En savoir +

Nous produisons en moyenne 300 millions de tonnes de plastiques par an et on estime qu’entre 8 et 12 millions de tonnes finissent dans nos océans,  l’équivalent d’un camion poubelle chaque minute (Estimation de 2015 de Jenna Jambeck, spécialiste de la gestion des déchets et des matériaux plastiques qui a collaboré avec eXXpedition et National Géographic).

La plus forte concentration de plastiques se trouve dans l’Atlantique nord et les Caraïbes.

Les déchets plastiques en mer proviennent à 80% de choses jetés au sol, ou débordant de conteneurs trop pleins, ou s’échappant des décharges en plein air…

35% des pollutions maritimes viennent des textiles en fibre synthétiques

C’est quoi un vortex ?

Le « vortex de déchets du Pacifique nord » (Great pacific garbage patch, GPGP) correspond à une énorme masse d’ordures située dans l’océan Pacifique entre Hawaï et la Californie. Il fait partie des cinq zones de déchets que l’on peut trouver dans cet océan et qui forment ce que l’on appelle le « 7e continent ». Découverte en 1997 par l’océanologue Charles J. Moore, la zone n’a cessé de croître. Sous l’effet de la rotation de la Terre, les courants marins créent en effet ce que l’on appelle des vortex ou gyres océaniques. Ces énormes tourbillons tournent dans le sens des aiguilles d’une montre dans l’hémisphère Nord, et en sens inverse dans l’hémisphère Sud. La zone s’étendrait sur plus de 1,6 millions de km², soit trois fois la taille de la France continentale. Avec un amas de plus de 1,8 milliard de morceaux de plastique, soit 80 000 tonnes flottant dans l’océan Pacifique. Ces débris plastiques sont ingérés par les oiseaux, poissons et mammifères marins. Ainsi, de nombreux animaux ont été retrouvés morts, le ventre remplis de bouchons de bouteilles, de morceaux de briquets, de ballons… Via la chaîne alimentaire (les poissons que nous consommons, par exemple), ces micro-plastiques finissent par atterrir dans nos assiettes et donc dans nos propres estomacs…

Et en France ?

Bonne nouvelle, bien que l’on soit encore très loin du compte pour réduire vraiment la pollution plastique : en 2022, les sachets de thé ou de tisane en plastique non biodégradables disparaîtront de nos rayons. De même que les suremballages en plastique pour les fruits et légumes de moins de 1,5 kg. La presse et les publicités seront également expédiées sans emballage plastique. Exit également : les jeux en plastique utilisés dans la restauration rapide. Mais il faudra attendre 2023 pour que la vaisselle jetable disparaisse de ces enseignes. Et il y aura comme toujours des exceptions : ainsi les produits présentant un risque important de détérioration lors de leur vente en vrac, comme les pêches, abricots, fruits mûrs à point, graines germées, fruits rouges, ou encore les légumes « primeurs », c’est-à-dire récoltés au printemps, avant leur pleine maturité, bénéficieront d’une exemption  jusqu’au 30 juin 2026. Aberrant.