Pédocriminalité et justice

©️SM

L’opinion publique se réveille et découvre enfin que pour dire  le vécu de l’inceste et de toute agression sexuelle le courage ne suffit pas.

Il faut aussi que d’autres  victimes aient creusé un sillon, aient porté des coups et forcé l’indifférence, pour que l’impensable devienne entendable. 

Enfin se découvrent à grande échelle un impensé, un trou, un silence du discours  social et politique , et une carence duDroit qui  font écho (ou  peut-être précèdent) le long silence des victimes . 

Quand la Justice ne passe pas

Vanessa Springora , Adèle Haenel , Camille Kouchner, Coline Berry  et d’autres avant elles, ont toutes rencontré cette expérience dans des milieux sociaux dits « privilégiés » ce qui leur a ouvert un espace d’écoute médiatique, qu’elles n’ont pas eu à conquérir. Mais elles ont ouvert des voies à d’autres victimes murées dans leur anonymat. 

Merci à ces femmes qui auront marqué les années 2020 et 2021 entrainant derrière elles des centaines de témoignages après #metoo. Elles  ont dû s’exposer pour creuser ce sillon et pour faire savoir que l’immonde atteinte sexuelle du pédophile et/ou du parent incestueux  ne s’appuie pas toujours sur une violence physique qui laisse des traces visibles, alors que sa victime les garde à jamais dans son histoire de sujet . 

On le savait. La psychanalyse nous l’avait appris, et plus récemment les travaux de Muriel Salmona sur les psycho-traumatismes l’ont prouvé, cartographié, explicité scientifiquement. Les sciences humaines  confirment aujourd’hui cette évidence :

  • L’enfant, l’adolescent au moins jusqu’à 15 ans,  n’ont pas les mots pour dire ce qu’ils ne peuvent ni concevoir ni penser, ils ne sont pas équipés pour reconnaitre comme « une absolue trahison », les gestes d’un adulte aimé et respecté, et censé les protéger, qui va pour son propre compte de jouissance, inverser l’ordre des valeurs familiales et sociétales . Et alors qu’il devrait avoir à répondre  de ce renversement, il va faire régner autour de lui  la terrible contention du silence et de la culpabilité.
  • La rencontre de l’enfant ou adolescent  avec la perversion de l’adulte se fait toujours  dans un moment d’effraction, moment toujours traumatisant. Car  cet  adulte là ne joue pas.  Comme le loup ou l’ogre du conte, il fait semblant de jouer pour mieux égarer sa proie.

Quand la Justice passe

Dans les cas où un procès est possible (faits non prescrits), en l’absence de traces visibles et de témoins c’est vers les mots de la victime que la Justice retourne la charge de la preuve  et tente d’évaluer le  degré de violence des situations (circonstance aggravante ). Ce qui, pour nourrir  le débat contradictoire et respecter les droits de la défense , introduit de fait la question de la psychologie de la victime , de sa position subjective , et donc de son degré de  « consentement »

Dans ce cas, ce n’est plus le coupable seulement qui va « être traduit » en justice, c’est aussi la victime dont le « degré de consentement » va venir colmater un vide, un abîme de sens et d’interrogations sur l’inconcevable.

C’est un point de  bascule,  qui est aussi en partie cause de l’enfermement de la jeune victime dans le silence car elle sait qu’elle va passer alors d’une position de victime à celle de suspecte, voire de coupable. 

La loi Schiappa de 2018 est insuffisante !

Les réactions de l’opinion publique aux dernières révélations montrent que  la connaissance des  conséquences et des phénomènes associés aux agressions sexuelles et ou incestueuses, comme l’emprise sous silence , la dissociation, les effets psychosomatiques, est acquise mais que la Justice continue à rester loin des victimes , oubliant sa tâche de protection. Et la Justice ne passe pas .

« Une parole n’est une parole que dans la mesure exacte où quelqu’un y croit » . .

J. Lacan

Pour qu’il y ait parole, il faut qu’il y ait écoute, d’abord.

Les derniers scandales révélés nous ont montré :

  • que le rallongement de la prescription à 30 ans (loi Schiappa de 2018)  ne suffit pas , et qu’une imprescriptibilité totale éviterait cette impunité scandaleuse qui prolonge les effets  destructeurs de ces crimes (affaire Matzneff, affaire Duhamel …) 
  • que  les ravages subis par les victimes ne s’arrêtant pas aux frontières du  temps judiciaire ont un coût psychique mais aussi symbolique et social , qui s’annulant de lui-même, efface du même coup une dette impayée vis-à-vis de la société et de ses fondements.
  • que l’instauration d’un « seuil de non-consentement  absolu avant 15 ans » éviterait le scandale de procès en crédibilité pour de jeunes victimes sidérées, abandonnées sans le soutien et sans la protection qui devraient être inconditionnel.les de la  justice.
  • que là où s’ offre une possibilité d’écoute, la parole vient enfin , libérée après des années de cette contention qu’on appelle le  «silence » et de cette culpabilité endossée à la place de l’agresseur. 

Alors apparaissent au grand jour la gravité  des atteintes subies.

L’année 2021 inaugurera peut-être un changement.

81% de l’ensemble des violences sexuelles commencent avant 18 ans, 51% avant 11 ans, 21% avant 6 ans

IVSEA, 2015

1 fille sur 5 et 1 garçon sur 13 ont subi des violences sexuelles

OMS, 2014

Chaque année au moins 130 000 filles et 35 000 garçons ont subi des viols et des tentatives de viols

estimation à partir des enquête de victimation CSF, 2008 ; ONDRP 2012-2017 ; VIRAGE 2017)

Les enfants en situation de handicap ont 4 fois plus de risque de subir des violences sexuelles et plus particulièrement les filles ayant un handicap mental et neuro- développemental (jusqu’à 90% des femmes ayant des troubles du spectre de l’autisme ont subi des violences sexuelles, 78% tout sexe confondu)

Brown-Lavoie, 2014

Les conseils de lecture de la Nouvelle librairie sétoise

  • La fabrique des pervers, Sophie Chauveau. Ed Poche, sortie le 6 mai 2021
  • La Famila grande, Camille Kouchner. Ed Seuil, 2021
  • Le consentement, Vanessa Springora. Ed Grasset, 2020
  • L’inceste, Christine Angot. Ed Stock, 1999
  • Parler, Sandrine Rousseau. Ed Flammarion, 2017
  • La malédiction d’être fille, Dominique Sigaud. Ed Albin Michel, 2019
  • Le petit livre pour dire stop aux violences sexuelles faites aux enfants, Delphine Saulière, Gwenaelle Boulet et Marie Spénale. Ed Bayard jeunesse, 2018