La crise sanitaire, révélatrice des inégalités de genre
Le Cese remet l’égalité réelle entre les femmes et les hommes au cœur des réponses à apporter à la crise sanitaire.
« La pandémie a agi comme un révélateur des inégalités femmes-hommes et a généré, dans certains cas, un véritable recul des droits des femmes. » Tel est le triste constat de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité du Conseil économique et social (Cese), qui a présenté le 23 mars dernier un avis sur la crise sanitaire et les inégalités de genre. L’histoire a débuté en octobre dernier par un constat : la crise semble creuser encore plus les inégalités. Pourquoi n’a-t-elle pas le même impact sur les femmes que sur les hommes, se demande alors la délégation. Et comment, malgré la crise, ne pas dévier de l’objectif d’égalité réelle, entre les femmes et les hommes, grande cause du quinquennat ?
Tous les voyants sont au rouge pour les femmes
Vaste sujet qui mérite un portage politique fort, déclare finalement quelques mois plus tard le Cese dans son avis, qui comprend 18 propositions. Dont, entre autres mesures fortes, de rendre la parité obligatoire dans tous les organes de gouvernance et de gestion de la crise, tout en fléchant une partie de l’argent du plan de relance sur les femmes.
Car le constat qui est fait est implacable. Depuis le début de la crise sanitaire, tous les voyants sont au rouge : destructions d’emplois, violences intra-familiales, burn out domestique et parental, perte massive d’emploi, risques psycho-sociaux. Les femmes surreprésentées dans les emplois précaires et certains secteurs touchés par les restrictions (elles sont 57% des serveurs.ses, 83% des coiffeur.ses) payent un très lourd tribut à la crise. Y compris sur des sujets consensuels comme le télétravail, présenté comme un privilège protégeant les cadres des risques sanitaires, contrairement aux ouvriers et aux employés du commerce, plus exposés.
Inégalités aussi dans le télétravail
Pourtant, le télétravail est aussi un révélateur de profondes inégalités au sein du foyer. Hommes et femmes ne sont en effet (toujours) pas logés à la même enseigne quand il s’agit de partager le temps, l’espace et les tâches domestiques. Ainsi, pour celles qui avaient encore un travail après deux mois de crise, le télétravail était autant la norme que pour les hommes. Mais en retournant dans les foyers, la charge des tâches domestiques reposant sur les épaules des femmes a sérieusement augmentée et nuit à leur carrière, détaille le Cese. Avec, des conditions d’exercice de ce travail à distance nettement différentes. Ainsi au printemps 2020, seules 29 % des femmes cadres disposaient d’une pièce spécifique dévolue au travail.
« L’égalité n’est pas un luxe »
De plus, dans de nombreux indicateurs sociaux et économiques, les jeunes femmes ont été le groupe le plus affecté par la première vague du Covid-19, s’alarme également Eurofound (fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail). Ce sont aussi les femmes, débordées, qui ont davantage reportées leurs consultations médicales et qui n’ont pas eu accès aux soins de santé sexuelle et reproductive, en particulier l’avortement et la contraception, rendus plus difficiles en raison des fermetures des centres. Et cela s’aggrave, explique le Cese, qui tire le signal d’alarme. « L’égalité n’est pas un « luxe » en temps de crise, mais le gage d’une réponse pertinente », conclut-il. Tout en appelant les pouvoirs publics à ne pas oublier, malgré la crise, de placer l’objectif d’égalité réelle, au cœur de leur action.
Stop à l’invisibilité de la dimension femme/homme
1/ Un nombre très important de femmes pourrait être écarté de l’emploi par la crise, alors que c’est la condition même de leur autonomie, s’insurge le Cese. D’où la nécessaire anticipation des formations et reconversions vers des métiers d’avenir. Une parité des effectifs, notamment dans les filières d’entreprenariatdoit également être instaurée. Il faut aussi revaloriser les métiers du « care » et engager un travail sur la classification de ces emplois sur la base du principe de « salaire égal à travail de valeur égale ». Et étendre l’accès aux minimas sociaux pour les jeunes de moins de 25 ans, ni en emploi, ni en études, ni en formation, sous condition. Et enfin, afin qu’elles puissent aller travailler, les femmes seules ou en emploi présentiel devraient pouvoir bénéficier d’une extension de l’aide à la garde pour les enfants jusqu’à dix ans contre six ansactuellement.
2/ La crise a fait apparaître de fortes inégalités dans l’accès aux soins entre les hommes et les femmes. Ce sont elles qui se sont, plus souvent que les hommes,abstenues de consulter ou ont développé des troubles profonds face à l’ampleur des tâches à accomplir. C’est particulièrement vrai pour les femmes seules avec enfants… D’où, selon le Cese, la nécessité d’un plan de relance national de prévention et de retour aux soins, en portant une attention particulière aux femmes. Il faudra aussi agir contre les violences faites aux femmes en hausse depuis le début de la crise et développer lespoints d’accueil et d’écoute, tout en favorisant l’accès aux droits sexuels et reproductifs.
3/ Décidemment les femmes sont toujours les grandes absentes des postes de pouvoir, comme des instances d’aide à la décision. Une situation qui ne favorise pas les avancées en matière d’égalité femme/homme. D’où la nécessité, selon le Cese, de rendre la parité obligatoire dans tous les organes de gouvernance et de gestion de la crise. Le tout en y associant l’ensemble des associations qui travaillent depuis des dizaines d’années sur ces sujets. De quoi faire avancer les choses plus vite. Comme le recours systématique à des données genrées et la mise en place d’un observatoire qui mesurerait au niveau national l’impact de la crise.
Chiffres clés
elles sont plus diplômées
1 femme sur 3 a eu son activité stoppée pendant le premier confinement (perte d’emploi, CDD non renouvelé, chômage partiel).
1,5 millions de femmes en emploi en présentiel avecenfants ont été dépourvues de solution de garde du fait de la fermeture des écoles et des modes de garde.
48 % des femmes en travail à distance vivaient avec un ou plusieurs enfants au moment du confinement, contre 37 % des hommes.
83% des mères de famille ont consacré lors du premier confinement, plus de quatre heures par jour à leurs enfants, contre 57% des hommes (INSEE).
1 parent sur 3 ont eu des difficultés à assurer le suivi scolaire, en particulier les plus modestes et les femmes.
40% des femmes avec enfants (contre 26% n’ayant pas d’enfants) constatent des tensions dans le couple.
Agir dans une globalité
Entretien avec Raphaëlle Manière, cheminote à la gare de Dole (Jura) et vice-présidente sortante de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité au Cese.
L’Ancre: L’avis du Cese révèle que la crise a accrules inégalités de genre. Lesquelles ?
« Les inégalités de genre ont été très apparentes au niveau du renoncement aux soins, de la charge mentale accrue des femmes pendant les périodes de confinement, des violences faites aux femmes, de l’accès aux droits sexuels et reproductifs… Mais aussi sur des aspects de répartition des tâches domestiques ou sur le travail. Les femmes représentent la majeure partie des personnes en situation de pauvreté ou ayant perdu leur travail, une question centrale sur laquelle il faudra revenir ».
L’Ancre : Qui avez-vous auditionné?
« Notre délégation s’est autosaisie du sujet à la suite du premier confinement. Nous avons auditionné des chercheurs. euses. Tous notent un renforcement des inégalités hommes femmes avec la pandémie ».
L’Ancre : Que préconisez-vous ?
« L’aspect très positif de cet avis, c’est qu’il prend la question de l’égalité femme/homme dans sa globalité. Il préconise aussi d’agir avec des mesures globales. Car les inégalités risquent de s’aggraver, notamment sur tout ce qui concerne la place sociale des femmes au travail. Pour le télétravail, nous préconisons une analyse d’impact « genrée » dans toutes les entreprises, pour mieux anticiper son impact sur le quotidien des femmes. Plus globalement nus avons formulé 18 propositions sur 4 grands axes : santé et bien être ; impact socio-économique de la pandémie ; articulation des temps de vie ; prise en compte de la parité dans la gouvernance de la crise. Nous rappelons que l’égalité est un levier indispensable de sortie de crise, et que les réponses à cette crise ne doivent pas être décidées sans les femmes. Le Cese porte l’idée « d’éga-conditionnalité ». Un concept fort, qui sous –tend que l’argent public doit servir à corriger les inégalités, Ainsi, le plan de relance devrait intégrer une analyse genrée. On en est bien loin et la prochaine mandature du Cese ne devra pas en rester là ».
Entretien réalisé par Vali.
Merci à NVO, dans lequel ce texte est paru en mai 2021