Dans les eaux encore fraiches de l’Etang de Thau

coque de navire. ©xm

Une nouvelle plongée instructive de notre camarade Jacques. Aujourd’hui, le biju.

En plongeant mercredi 20 mars dans les eaux encore fraiches de l’Étang de Thau, je suis tombé nez à nez, si je puis dire, avec un sucre d’orge brillant et appétissant (photo 1) qui m’a rappelé mon jeune temps, hélas lointain.
Ce bonbon déguisé en madeleine (de Proust) n’a pas fait illusion très longtemps et j’ai bien vite réalisé que j’étais en présence de Microcosmus sabatieri ou violet ou biju (photo 2).
Les spécialistes apprécieront de savoir qu’il s’agit d’une ascidie solitaire appartenant à l’embranchement des urochordés et au sous-embranchement des tuniciers.
Tous ces noms valent le coup de s’y intéresser un peu car ils vont révéler la personnalité de cet animal. Car j’aurais dû le dire plus tôt, ce morceau de sucre d’orge appartient à un animal qui vit fixé sur différents supports solides naturels ou artificiels.
Ascidie vient du grec [ascid] pour signifier « petite outre » et évoquer la forme globale de sac de l’animal et peut-être aussi les becs verseurs de l’outre permettant de s’y abreuver (photo 2).
Cette outre est entourée d’une tunique épaisse et solide composée d’un dérivé de la cellulose dont on pensait il y a peu encore qu’elle était exclusivement végétale. Voilà pour tunicier.
Urochordés signifie « corde dans la queue » ! et c’est là que réside l’extraordinaire: la corde ou chorde est une ébauche de tube neural (colonne vertébrale et moelle épinière) localisée dans la queue de la larve d’ascidie. Cette dernière ressemble beaucoup à un têtard de grenouille mais contrairement à ce dernier, la métamorphose de la larve mobile va la conduire à perdre sa queue et son ébauche de système nerveux, pour finir par se fixer définitivement à un support. Mine de rien, cela signifie que les ascidies sont les organismes marins fixés qui peuvent être considérés comme les plus proches cousins du plongeur, lui-même un chordé ! c’est vertigineux d’y penser …
Le nom latin de genre, Microcosmus, est particulièrement bien adapté car l’animal qui apparaît sale (photo 2), est le plus souvent recouvert d’autres animaux plus petits qui vont coloniser sa surface en plus de la vase et des sédiments pour créer un minimonde, un microcosme d’épibiontes. Le zoologiste Armand Sabatier (1834-1910) est à l’honneur avec le nom d’espèce: sabatieri, mais ça s’arrête là.
Notre petite outre Microcosmus sabatieri respire et se nourrit en aspirant de l’eau par un siphon inhalant et en la recrachant par un siphon exhalant (photo 2). C’est le siphon inhalant qui ressemble au sucre d’orge et les huit stries d’un rouge violet présentes sur les siphons sont caractéristiques de l’espèce et donnent son nom commun (vernaculaire) à l’animal, le violet.

Le languedocien en général et le sétois en particulier vont l’appeler biju, peut-être à cause de la couleur jaune d’or de l’intérieur de l’animal (photo 3) évoquant un bijou doré. On ouvre les bijus à l’aide d’un puissant couteau qui va découper l’épaisse tunique après les avoir achetés, assez chers, sur un marché local (photo 4) pour les manger … crus ! L’intérieur est constitué essentiellement d’un pharynx, qui va retenir les particules nourricières filtrées de l’eau qui le parcourt, recouvert d’une gonade volumineuse jaune vif au puissant goût iodé (je ne fais que répéter n’ayant jamais osé mordre dans ce « truc »).
On remarque que les jolies couleurs de sucre d’orge des siphons de l’animal vivant ont disparu chez l’animal mort. Plutôt que de les tuer d’abord et de les manger ensuite, je préfère les observer vivants et partager de jolies photos qui serviront de support à une non moins jolie histoire qui j’espère vous aura plu.