Max Jacob, bohème et mysticisme

Céret est à une portée d’arbalète de Sète, une heure 40 en voiture. Au bout du chemin, une exposition remarquable consacrée à Max Jacob et à ses célèbres amis ; elle intervient 80 ans après la mort de l’artiste au camp de Drancy.


Jean Metzinger, Portrait de Max Jacob, 1913 © Adagp, Paris, 2024

Max Jacob, né à Qimper en 1876, est un des artistes les plus étranges que la première moitié du XXe siècle ait connu, et pourtant elle n’en a pas été avare. Juif breton, il arrive à Paris en 1898. Drôle, d’une générosité hors norme, mais tourmenté et mystique, il se lie d’amitié avec le tout-Montmartre des artistes et des poètes, plus particulièrement avec Pablo Picasso, qui trainait la guenille lors de ses premières années parisiennes. Il partage sa chambre avec lui. Amitié durable avec des hauts et des bas. Le Bateau-lavoir, immeuble insalubre, qui hébergeait les artistes sans le sou de la Butte, lui doit son nom. Il développe ses talents de poète, peintre, caricaturiste, participe en tant que secrétaire de rédaction à la revue « Le Sourire », dont Alphonse Allais est rédacteur en chef. Avec ce travail salarié, il est un nanti au milieu de tous ces artistes maudits qui trainent à Montmartre et Montparnasse. Mais cela ne dure pas, la mouise revient. Après le Bateau-Lavoir et le cabaret du Chat noir, Rive droite, les artistes passent Rive gauche, avec la Rotonde, le Dôme et la Coupole comme point d’ancrage. Il a des périodes d’embellie, mais il se retrouve toujours sur le carreau, à vivre de petits boulots.
La Cabale, la divination, la chiromancie font partie intégrante de sa personnalité. Avant la guerre, l’histrion avait prédit sa fin prochaine à Guillaume Apollinaire ; lors de cette période, il a eu des visions et son mysticisme prend le pas sur tout le reste. En 1915, il reçoit le baptême, avec Pablo Picasso comme parrain.
Toute sa vie, il sera tiraillé entre sa soif de religion et de rédemption, et son goût pour la fête et son sentiment de culpabilité lorsqu’il cède à son homosexualité.


Max Jacob, Medrano : Acrobate et Danseuse, 1909 © Adagp, Paris, 2024
Crédit photo : Thibault Toutlemonde

Ce personnage complexe écrit poèmes, romans, livrets d’opéra, articles de journaux ; il peint, dessine, caricature, lit dans les lignes de la main ; amuse la galerie grâce à un humour décapant. Ami de Picasso, de Juan Gris, de Sonia Delaunay, Fernand Léger, Georges Braque, il est un personnage central du mouvement cubiste. Max Jacob écrit plusieurs poèmes en prose à consonance cubiste publiés dans « Le Cornet à dés » en 1917.
Il effectue un séjour à Céret avec Picasso, en 1913.

Le musée d’Art moderne de Céret, à l’occasion du quatre-vingtième anniversaire de la déportation et de la mort de Max Jacob au camp de Drancy, offre une exposition d’une qualité rare. Elle peut se voir de deux manières. Comme historien d’art, chaque œuvre, qu’elle soit de Max Jacob, de Picasso, de Juan Gris ou de Marie Vassilieff (la liste est loin d’être exhaustive), est d’une qualité extrême et peut être admirée en tant que telle. Elle réunit les principaux chefs-d’œuvre littéraires de Max Jacob dans leurs éditions originales, illustrés par Pablo Picasso, André Derain et Juan Gris. Elle présente également plusieurs dessins de Max Jacob correspondant à ses premières expérimentations cubistes, pour certaines ironiquement intitulées « Je m’essayais au cubisme. »


Pablo Picasso, Le fou, 1905 © Succession Picasso 2024

A noter une sculpture de la tête de Max Jacob, intitulée « Le Fou », saisissante de vérité, réalisée par Picasso. A elle seule, cette sculpture vaut une promenade en Vallespires.



Marie Vassilieff, Le banquet Braque, 1917 © Véronique Herbaut

Mais cette exposition raconte aussi une histoire, celle d’une époque où Paris était en ébullition créatrice. Les artistes du monde entier s’y retrouvaient et partageait la « vache enragée ». Certains sont sortis du lot grâce, entre autres, au galeriste Ambroise Vollard et aux plus Parisiens des Américains Gertrude et Leo Stein. Pour les autres, c’était la débrouille. Mais la création était un des ciments de cette société, l’alcool, le haschich et l’opium en étaient certainement un autre. Une petite gouache de Marie Vassilieff est particulièrement évocatrice de cette période-là, « Le Banquet Braque ». En 1917, un banquet est donné en l’honneur de Georges Braque, blessé sur le front. On peut voir autour de la table Pablo Picasso, Blaise Cendrars, Marie Vassilieff, Matisse, entre autres. Hagard et vraisemblablement soûl, Amédée Modigliani fait irruption dans la pièce. Sa fiancée, ou plutôt son ex-fiancée, la poétesse Béatrice Hastings, l’a quitté pour le sculpteur Alfred Pina, qui, lui, est invité et présent au repas, ce dernier brandit un pistolet pour se défendre. Tout est dit dans ce tableau, les amours à mort, les boissons qui coulent à flot et l’œuvre d’art qui en découle.

Cette exposition est une vraie réussite, elle entraine les spectateurs dans une machine à remonter le temps, quelque part entre le Bateau-Lavoir et le Montparnasse des années folles. A voir sans aucune hésitation.

Musée d’art moderne de Céret
8, boulevard Maréchal Joffre 66400 Céret 04 68 87 27 76
www.musee-ceret.com