Plus douces pour parler aux hommes, dit-il.

L’affaire dite « des viols de Mazan » a ébranlé l’opinion publique mondiale. Gisèle Pélicot, en rendant son procès public s’est positionnée telle une lanceuse d’alerte. De victime malgré elle, elle s’est transformée en battante déterminée. Sédatée, elle fut violée par de nombreux hommes recrutés sur un réseau social pendant 10 ans. Ces viols répétés furent également filmés par son mari.
Un an après le procès qui a condamné 51 hommes pour viol aggravé, un seul de ces accusés à fait appel. Son procès s’est tenu à Nîmes du 6 au 9 octobre 2025.
Le 7 octobre dernier, nous y étions.

Début octobre, On reçoit un appel sur les réseaux sociaux : les copines militantes féministes de Nîmes préparent la performance « el violador en tu camino*» et lancent une invitation à les rejoindre le 7 octobre devant le tribunal. L’idée n’est pas de faire une performance parfaite mais bien de dénoncer la culture du viol, montrer notre détermination et notre sororité. N’hésitant pas une seconde, on s’organise ; Une répet’ le dimanche, la chanson en boucle à la maison, et une voiture pleine au départ de Sète. Cinq femmes de générations différentes, une heure de route, confidences, nos luttes, nos histoire, on partage tout y compris le prix du trajet.
Devant le tribunal deux banderoles affichées : « FÉMINISTES EN COLÈRE » et « GISÈLE LES
FEMMES TE REMERCIENT ». Ça sent les frangines pas loin.


C’est le début d’après midi, le procès est en cours. Très vite des journalistes nous repèrent et nous demandent pourquoi ce procès est si important et ce que nous sommes venues faire là.
Comment répondre à cette question ? Parler des chiffres officiels ? Nos expériences personnelles ?
L’oppression que nous vivons au quotidien ? Notre soutien à Gisèle Pélicot ? Rappeler que la justice ne répare pas une personne violée ? Un peu de tout ça.
« Pour rappel en France c’est un viol toutes les 7 minutes, et ça c’est les chiffres officiels de l’État** ».
Lesjournalistes hommes ont l’air surpris. Comme si le viol n’était qu’un fait divers, alors que c’est un fait omniprésent dans nos vies.
Une partie du groupe décide de rentrer dans le tribunal suivre le procès et l’autre s’installe avec des
cartons pour écrire des slogans sur un banc en face. Marqueurs, stylos, pancartes en vue : « GISÈLE
VOTRE PROCÈS NOTRE PROCÈS », « NI OUBLIE NI PARDON », (oui oui les ouins ouins, on a envie de mettre un « e » à oubli pour toutes les femmes oubliées de l’histoire et vive l’écriture inclusive !).
« LES HOMMES ÉDUQUEZ VOUS », « TU EN TOUCHES UNE, ON RÉPOND TOUTES », «C’EST VOS BITES QU’IL FAUT CLASSER SANS SUITE ».
On devient peu à peu le vestiaire des copines qui veulent suivre le procès et spontanément un micro
trottoir s’installe autour de nous. Le temps passe vite, on croise, on discute, on échange. Certaines femmes se confient sur leur vie, on se rend compte du besoin d’être ensemble, de parler, de se dire. La violence est infiltrée dans tant de vie et cette affaire devient une façon de se rassembler.
Parmi nos rencontres :
-une Amazone d’Avignon, colleuse qui a suivie le procès de près et a soutenu Gisèle depuis le début.
-une jeune femme passante qui s’arrête et nous fait part de sa non confiance dans l’État et la justice. Bien au courant des rouages du système qui broient les femmes lorsqu’elles décident de porter plainte pour viol. Malheureusement elle embraye sur un discours anti immigration qui nous gêne en parlant du manque de solidarité en France.
-une dame âgée, au look bourgeois, s’arrête. Au début nous croyons qu’elle nous critique, en balançant « ah ! elles se disent féministes mais elle ne foutent pas grand chose », mais en dialoguant avec elle on se rend compte qu’elle parle des femmes politiques qu’elles trouvent trop molles face aux hommes.
-Une famille de Nîmes venue voir le procès. Le père qui se déclare féministe et qui nous dit « on est pas tous comme ça ».
-Un vieux de 80 ans, première phrase bien grinçante : « ça existe depuis la nuit des temps… » et
commence du bon gros mansplanning en nous disant comment il a reproduit le schéma patriarcal qu’il avait remarqué enfant sur ses parents, sa femme étant un « accessoire » de sa vie. Une de nous lui demande s’il éduque ses petits fils, sa réponse : nous devrions être plus douce pour parler aux hommes !.
Peine perdue, aujourd’hui et tout les autres jours de l’année, faut plus nous chercher.
-Des jeunes nous posent des questions, sont choqués de l’affaire et des sentences prononcés. Le temps en taule leur parait ridicule.
-Une dame s’arrête à notre niveau. Elle est visiblement mal-voyante. Elle s’appelle Carole, est là par hasard, mais se confie à nous, nous faisant immédiatement confiance après nous avoir demandé la raison de notre présence sur ce banc. Elle nous raconte son histoire faite de violences subies. Elle passera le restant de l’après-midi avec nous, attestant elle aussi de la force incroyable de ce rassemblement et de la sororité qui en ressort, puissante et fière.
C’est bientôt l’heure de la performance, plusieurs « compagnera » féministes nous rejoignent et celles qui étaient dedans reviennent peu à peu pour nous raconter.
A l’intérieur du tribunal, dans la salle de retransmission les copines sont sidérés par le témoignage de Dominique Pélicot du style « On me dit que je ne suis pas empathique, que je suis froid. Je n’ai jamais cessé d’aider tout le monde toute ma vie, par gentillesse. » Dit par un mec qui offrait sa femme sédatée à des inconnus, c’est juste complètement indécent. Il parle de l’isolement, en prison, la voix tremblante et dénigre l’accusé, rapportant qu’il recrutait des personnes en précisant que sa femme dormait, et que les hommes qui venaient savait exactement où ils mettaient « leur bite ». Ce connard se donne le beau rôle, pendant ce procès, en face de l’autre violeur.
Après cette dose de sordide, les frangines sont contente de sortir prendre l’air, ce patriarcat est vraiment très étouffant !


On se retrouve toutes pour une ultime répétition avant la performance devant les Arènes. Nous sommes une cinquantaine, des féministes de toute la région et bien au-delà. Nous ne nous connaissons pas mais nous faisons front commun aujourd’hui. On se voit les unes les autres et on se reconnaît l’une dans l’autre. Nos histoires se croisent, nos luttes, nos intimes. Dress code black bloc avec éléments flashy et les yeux bandés. L’émotion est palpable. La batucada donne le rythme et c’est parti !
Être dans un cortège féministe c’est faire corps commun. Un corps puissant qui ose dire : le violeur
c’était toi, le violeur c’est toi. C’est regarder en face avec défi le patriarcat. C’est dire nous n’avons plus peur. Nous serons toujours là les unes pour les autres. Colère, détermination, cette performance nous galvanise.
On fini en s’applaudissant les unes des autres, beaucoup de larmes, mais pas de souffrance, des émotions qui se mêlent, une catharsis intense. « Gisèle ton procès est notre procès » On part en ronde sauvage, mains dans les mains vers le tribunal, remontée comme des coucous en hurlant « Nous sommes fortes nous sommes fières et féministes et radicales et en colère ! »
Début de la chorale. Une force incroyable, on est une centaine en cercle autour d’une cheffe de chœur qui nous stimule et on alterne slogans et chants. Des mains sont tendues, épaules contre épaules… Les journalistes sortent peu à peu, plus d’une centaine et nous mitraillent.
A sa sortie Gisèle Pélicot est encadrée d’un escadron de policier.es, nous chantons « Des hommes ordinaires », elle nous salue, un sourire.
On reprend la performance devant le tribunal comme une dernière danse toutes ensembles.
Il fait presque nuit. On se tient les épaules, on se prend dans les bras. On continue de chanter. L’immense force que ça nous a donné. On est rayonnantes, invincibles, on occupe l’espace public. On rentre à Sète plus déter que jamais. Que vive les luttes féministes !

*El violador en tu camino est une performance crée par le collectif  » Las tesis  » de Valparaiso au Chili et repris dans le monde entier par les féministes pour dénoncer les violences sexuelles et sexistes
**chiffre du Haut Conseil à l’Égalité entre les Femmes et les Hommes.