La vie d’ Elisa Fantozzi, artiste plasticienne multi-formes est un voyage : d’Aix-en Provence, sa ville natale, à Sète où elle est installée depuis 20 ans, en passant par Pézenas, Paris, et New York City. Elle se partage d’ailleurs entre deux ateliers : son « antre » où sommeillent des pièces volumineuses déjà exposées, auprès de petits formats objets de nouvelles explorations, et un local fraîchement rénové, dans le quartier des Quatre Ponts. Celui-ci, plus ouvert, et qu’elle souhaite modulable, se profile comme un lieu d’échanges et de recherche, pour pouvoir revenir parfois à la page blanche.
Le rêve américain
L’Ancre : Dans quelle mesure tes allers-retours entre Pézenas et New York ont-ils influencé ton travail ?
Elisa Fantozzi : J’ai rencontré un artiste que j’aimais et qui m’a embarquée à New York. J’ai vendu ma voiture pour commencer cette aventure. On appréhendait cette vie avec une fougue commune, pas loin du rêve Américain. J’avais 22 ans et lui 37. Nous étions focus sur nos créations, comme un moyen de canaliser toute l’énergie que nous recevions dans cette ville. Flipo fût un peu mon école dans son obstination à créer des rencontres, pousser des portes et surtout à garder confiance.
Influences et confluences
L’Ancre : Quels sont les artistes qui t’ont inspirée ?
Elisa Fantozzi : Il y a eu Salvador Dali. Petite, un livre me faisait bien voyager dans des mondes mous, sensuels, oniriques et très cérébraux frôlant la folie. Puis j’ai rencontré des installations de Ben Vautier, de petites boîtes intéractives où tout d’un coup l’art pouvait être touché et faire rire. Puis à New York, je suis entrée dans des installations de Larry Bell ou James Turrel, j’ai vécu cette immersion dans la couleur, les impressions physiques et les perspectives labyrinthiques. Le travail de Cindy Sherman m’a troublé avec ses autoportraits mixant différentes époques, styles, et des mises en scène devenant de plus en plus grotesques, ainsi que celui de Sarah Lucas avec ses installations métaphoriques et burlesques. Paul McCarthy a été un gros flash avec son art abject et encore une fois des mises en scène assez trash …toute la mouvance côte ouest m’a pas mal intéressée. Je pourrais citer aussi Nikki de St Phalle et Frida Kahlo et aussi l’Arte Povera avec Guiseppe Penone, et puis mes amiEs, artistes ou pas.
Thèmes fantozzistes
Profondément marquée par l’anorexie et la boulimie, ce dont elle a peu parlé jusqu’à aujourd’hui, Elisa Fantozzi a traversé une vraie crise d’identité féminine, « voire une crise tout court ». Elle considère que son travail sur les objets et surtout sur le corps, lui a permis de trouver un équilibre, de se penser, de se panser et de se réinventer. « Convoquer mon corps, c’était tenter d’en contrôler l’instabilité, et surtout comprendre qu’il n’y a pas d’existence sans forme ».
L’Ancre : Peux tu nous parler de ta construction en tant qu’artiste, de ton travail ?
Elisa Fantozzi : Pour moi, tout est répétition, glissement d’époques, de vie, de contexte, et je prends tout comme une grande histoire, peut-être parce que je n’ai pas fait d’école, que je suis autodidacte et que mon inspiration est comme ma respiration, elle se nourrit tout le temps. Je travaille principalement des pièces uniques, même si j’utilise souvent la technique du moulage, je décline ensuite les formes et les narrations. Des thèmes récurrents composent ces séries que j’aime revisiter, comme des statues de vierges qu’au départ je peignais et qui aujourd’hui se retrouvent entourées d’un échafaudage « Cathédrale » 2016.
Puis, il y a les oeufs sur lesquels je peux marcher ou bien que j’utilise pour critiquer la société de consommation comme avec « Eggoal ou la machine à faire des oeufs -2009« .
Enfin, les autoportraits, les Lili à l’échelle 1, (en résine d’après moulage en bande plâtrée) ont pu être exposés dans des parcs et jardins comme le cochon pendu; le monde à l’envers que j’installe sur une branche d’arbre, ou la planche « bercée par l’eau ». Et puis, des mains…
Enfin, des pièces hapax: « Renaissance » , un coquillage géant de 2,50m, ressemblant à une oreille ou un sexe de femme, et faisant office d’enceinte produisant des sons de borborygmes. Cette pièce réalisée en 2009 avec le soutien du FRAC Languedoc Roussillon participait à un hommage à F. Rabelais et son Gargantua. Après 12 ans de tournée, Renaissance sera installée dans le hall de la Faculté de médecine de Montpellier qui vient de l’acquérir.
Et cet Arc-en-ciel de 3mx4m, en résine et démontable. « Il s’agissait pour moi d’exprimer le prisme de la lumière qui révèle les objets, ou de rendre objet, ce qui l’est le moins, la lumière, et que je puisse la toucher voire la porter. Vaste programme ! Toutes ces sculptures très physiques appellent au corps, et je suis invitée parfois à faire des performances, ou de petites mises en scène, comme au CRAC l’été dernier dans le cadre du projet “Canal Royal« , où j’ai pu jouer avec tous mes cerveaux. »
Couleurs et masques bleus
L’Ancre : Quelles sont ton actualité et tes inspirations dans le cadre de la crise sanitaire, où la culture est au plus mal ?
Elisa Fantozzi : Depuis 20 ans, je suis invitée à proposer des ateliers dans des collèges, lycées et Ehpad. J’apprends beaucoup dans ces structures et au contact des personnes qui les constituent, surtout lorsqu’un travail créatif et sans jugement s’en dégage. En ce moment c’est au Collège de Pignan que je me suis accordée avec la professeure d’Arts Plastiques sur un projet photographique intitulé « Le monde et le moi ». Les jeunes évoquent la crise sanitaire, la fatigue du 1er confinement, la pollution, la planète. Le masque bleu est omniprésent dans les compositions.
Quand on évoque son travail personnel, outre une expo en attente à laquelle elle participe, au Centre d’art contemporain de la Panacée à Montpellier, Elisa Fantozzi sourit: « je rêve de couleurs, de textures et de formes, que je souhaite peindre sur mes cerveaux, en attendant de ne plus avoir peur des espaces anguleux de la toile sur châssis ou autres quadrilatères équiangles.