Juste pour le plaisir, en ce lundi de Pâques et en direct du Barrou: Un petit cours de notre expert ès-mollusques et poissons, sur le poulpe, le génial poufre de Sète. Et pour pousser plus loin l’expérience, la recette de la daube de poulpe, du même auteur est ici.
A Sète, on est toujours un peu en avance sur le monde et la mode. C’est flagrant quand on pense au poufre, auquel on érige statuts et totems. Ainsi, des Marseillais qui se croyaient originaux ont lancé, il y a quelques temps une initiative promise au succès : le Marseille Octopus Worldwide. Bien que les Provençaux aient eux-même une culture poulpesque, quand il s’est agit de parler de sa pêche et son importance, c’est à moi qu’il devait en incomber la responsabilité. L’ouverture du festival devait se tenir au MuCEM, un soir d’octobre 2018. Un déluge de pluie s’est abattu sur Marseille. L’inauguration a été, de justesse, maintenue, sous quelque abri. La soirée promettait d’être belle : expositions, musique, cuisine de rue par le désormais très vénéré Alexandre Mazzia. Les organisateurs prennent la parole, présentent les acteurs de ce grand moment historique : SOS Méditerranée, le Parc national des Calanques, l’ONG Ethic Ocean, les artistes, les cuisiniers, etc.
Et puis vient mon discours:
« J’aurais pu vous parler de la sexualité du poulpe : de ce tentacule hectocotyle – le 3 ème bras à droite – qui sert au mâle pour déposer les spermatophores dans l’oviducte de la femelle. Ou de son comportement étrange après la reproduction : le poulpe perd le contrôle de ses bras, devient fou et souvent se dévore lui-même partiellement avant de mourir.
J’aurais donc pu vous parler de sa sexualité et ça vous aurait sans doute bien plus intéressé.
Mais je vais vous parler de la pêche. De ces hommes et de ces femmes qui vont chercher les poulpes en mer et les ramènent là où vit le commun des mortels : à terre.
Les marins-pêcheurs professionnels sont les seules personnes autorisées à commercialiser leurs captures. Ce sont eux qui alimentent le marché et ils sont bien divers. La France importe plus de 3000 tonnes de poulpes congelés chaque année, essentiellement du Maroc, de Mauritanie, du Sénégal, mais aussi du Mexique ou d’Indonésie. La durabilité de ces pêcheries, notamment au Maroc et en Mauritanie, laisse à désirer : il serait à peine simpliste de dire qu’il s’agit de chalutiers industriels appartenant à des capitaux européens, russes ou chinois qui pillent les ressources locales.
Non, les pêcheurs et pêcheuses dont je veux vous parler ce sont ceux et celles que l’on voit ici, sur le littoral méditerranéen.
CertainEs, à Sète, Agde ou au Grau du Roi, travaillent au chalut. Ils et elles pêchent essentiellement du poulpe blanc et un peu de poulpe de roc. Le poulpe blanc, c’est Eledone cirrhosa, il n’a qu’une rangée de ventouses sur ces tentacules, alors que le poulpe de roc c’est Octopus vulgaris le poulpe commun, qui lui, a 2 rangées de ventouses sur chaque bras. Au total, les poulpes constituent une des premières espèces en poids comme en valeur pour ces bateaux (entre 10 et 20% de leur vente). On parle d’une cinquantaine de navires d’environ 20m de long, avec chacun 4 marins à bord, qui partent chaque jour de 2h du matin jusque dans l’après-midi.
Les autres, ce sont les petits-métiers, ceux qui sont répartis partout sur le littoral, y compris dans de tout petits ports et parfois sur de tout petits bateaux. Il sont bien plus nombreux et ils sont polyvalents. A chaque saison, chaque espèce, chaque territoire correspond un engin de pêche différent. On ciblera alors le poulpe – de roc – à l’aide de pots, de nasses, ou autres pièges dans le genre, souvent fabriqués par le pêcheur lui-même.
La simplicité de la technique de la pêche aux pots est déconcertante. Il s’agit d’un long cordage reliant de nombreux pots (à l’origine en terre cuite, aujourd’hui en plastique). On les pose sur des fonds sableux et le poulpe qui vient se nourrir dans les environs s’y abrite quelques temps. On aura donc la chance d’en remonter quelques-uns à bord. C’est une technique extrêmement économique : très peu de consommation d’énergie, pas d’appât, on peut laisser ces pots plusieurs semaines dans la mer. Elle entre donc dans le système de la polyvalence des petits-métiers.
Ces petits pêcheurs et pêcheuses de Méditerranée ne sont pas spécialiséEs sur une espèce et peuvent donc s’adapter à l’état de la ressource. Loin d’être les pilleurs de la mer que certains peuvent décrire, ils en sont bien souvent les gardiens, les protecteurs. Ce sont eux et elles, qui par leur présence quotidienne, d’année en année, observent et signalent les changements dans le milieu marin. Ce sont eux et elles qui font que la Méditerranée n’est pas seulement un lieu de loisir pour les estivants. Ce sont eux et elles aussi qui s’organisent et gèrent leur activité, notamment par le biais des prud’homies de pêche. Pour le poulpe en Méditerranée, on doit fermer la pêche au moins 2 mois par an, libre aux communautés de pêcheurs de décider des modalités. La prud’homie d’Agde a décidé de s’interdire la pêche pendant près de 6 mois, de mai à octobre !
Ce sont eux et elles, enfin, qui souffrent des pressions que subit le milieu marin : prélèvements par les très nombreux plaisanciers, concurrence déloyale des braconniers et surtout pollutions et changement global.
Nous avons la chance que le poulpe soit une espèce peu sensible à la pression de pêche : croissance rapide, maturité sexuelle précoce, forte fécondité. C’est une pêcherie d’avenir, à condition que le milieu qui le voit grandir, Mare Nostrum, ne soit pas un désert contaminé de boues rouges et de crème solaire. Pour la Méditerranée, pour ses pêcheurs et ses pêcheuses, mangez du poulpe ! »
La soirée aurait pu commencer comme cela. C’est en tout cas, ce que j’avais promis à mes étudiantEs que j’avais amenéEs à cet événement pluridisciplinaire et original. Mais après avoir remercié les quelques partenaires institutionnels, l’organisateur de la soirée annonça que le bar était ouvert et que la fête commençait. Mon discours restait donc à ce jour confidentiel, simplement prononcé devant une douzaine de personnes, à la table d’un café, sur une terrasse de l’Estaque, le lendemain d’une belle fête. L’injustice est réparée