La chatte qui rugit

Voici en exclusivité pour L’Ancre, dans le cadre des journées contre les violences faites aux femmes, un texte d’Aminata Aidara, auteure sétoise.

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On m’a demandé si dans la chambre sombre il y avait un chat. J’ai répondu : ce n’est pas un chat, mais une chatte qui rugit. Une femme qui se cache parce qu’elle n’arrive plus à parler. Quand elle ouvre sa voix, l’élan qui pousse sa langue est rattrapé par une aridité grandissante : les mots se cassent avant de sortir. Autrefois, cette femme avait choisi le silence. Et alors, le silence l’avait engloutie. Elle avait cherché autour d’elle quelqu’un qui puisse l’écouter, la soulager. Personne ne voulait l’aider, alors elle s’était retrouvée à demander à la terre, à se plier au sol pour creuser une porte de sortie. Depuis, elle avait appris à boire ses propres larmes, à s’appuyer sur sa colonne, verticale ou horizontale qu’elle soit. Avant, elle et ses enfants vivaient ensemble. Mais au moment de rentrer dans la chambre sombre, elle s’était résignée à les confier à d’autres femmes, peut-être plus stables. Certainement moins fêlées. Dans sa tanière elle se couvre aujourd’hui de vêtements-voiles, se nourrit de médicaments-soupes. Autrement elle ferait comme avant. Comme quand ça lui arrivait de sauter sur le lit, arracher sa jupe et son débardeur, secouer son crane dans toutes les directions, faire de ses bras les hélices d’un hélicoptère fou dans l’air qui coupe le souffle, si dur à respirer. C’est à cette époque qu’elle avait commencé à parler avec une voix qui n’était pas la sienne, mais celle d’une petite fille à qui on a volé un gâteau ou celle d’une vieille qui n’a pas fini de mourir. Miaulement féroce d’animal blessé, parce qu’avec une autre voix on peut tout dire et personne ne comprend : « Il me cogne la tête très fort contre le mur, je me demande si on ne pourrait pas inventer des murs en mousse », « Il m’a mordu l’arcade, c’est possible que je pleure rouge d’un œil toute ma vie ? ». Les autres lui avaient indiqué la voie, complices de ce qu’il ne faut pas dire, et ils se taisaient. Ils lui apprenaient ainsi que le mensonge est une nourriture facile à digérer, par la famille et par le quartier. Un mensonge absorbé et expulsé par toute la communauté. Le silence, ils lui avaient enseigné, est le bien le plus précieux, celui qui ne peut se briser que de façon inexplicable, avec des phrases qui sortent en chuchotement de fée, en râle de sorcière qui nomme et qui dénonce. En cris de chatte qui rugit.

Pour vous informer et lutter contre les violences faites aux femmes.


Le jeudi 25 novembre, les « collectives culottées », en partenariat avec le cinéma « le Comœdia », organisent la projection du film « Jusqu’à la garde » avant un débat avec des spécialistes de ces questions.

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