Martial Raysse, un octogénaire triomphant

Martial Raysse, peintre depuis toujours, expose ses dernières toiles au Musée Paul Valéry de Sète.

C’est l’histoire d’un jeune homme de 87 ans enthousiasmant. J’avoue mon ignorance, je ne connaissais de Martial Raysse que son crocodile nîmois. Crocodile qui guette le passant place du Marché et à qui l’artiste a réussi à donner la grâce, tout en respectant une certaine austérité protestante.

Commment ça va Irma © Gilles Hutchinson

Grâce au musée Paul Valéry de Sète, j’ai pu découvrir le travail des 20 dernières années de cet octogénaire. Il aurait pu être crépusculaire, il est lumineux. Ses femmes sont évanescentes, mais pimpantes, les hommes sont dans la terre plus bûcherons qu’éphèbes. Dérision et burlesque désamorcent des toiles qui pourraient sembler trop classiques, tel le « Comment vas-tu Irma ? », portrait d’une loucheuse à coccinelle sur le nez. Les auto-portraits sont sans complaisance, les ravages du temps sont là, mais l’humour aussi.

Les œuvres ultimes sont cinq toiles de grande dimension, « Le lever du jour », « La tombée de la nuit », « La peur », « La paix », « Le grand jury ».

La tombée de la nuit © Aurélien Mole

«  La tombée de la nuit » évoque inexorablement cet entre-deux où la vie s’en va, la mort est imminente, mais la nuit n’est pas finie et la mort peut repasser. Une jeune femme, spectrale et nonchalante, arrête d’une main une armada de squelettes, plongée dans l’ombre ; derrière elle, un groupe de jeunes gens colorés en tenue de bain, baigne dans une lumière ocre, solaire. Qui gagne ?

A l’inverse, au « Le lever du jour», tout est plus compliqué. La belle jeune femme diaphane, déjà morte ou en passe de l’être, est tiraillée entre des vivants, bien vivants, la suppliant de rester avec eux, et un monstre noir aux contours mal définis, tel le « Cavalier sans tête » de Tim Burton qui vient chercher sa proie ou encore « Le roi des aulnes » de Gœthe.

La peur © Gilles Hutchinson

« La peur » semble très mystérieuse dans sa composition même. Le tableau est sombre, les personnages très gris sont cramponnés les uns aux autres, leurs visages tournés dans la même direction. La partie gauche du tableau offre à voir quelques tâches de couleur, au centre le chien et son plastron blanc, puis la femme horrifiée en robe jaune canari qui lève bien haut ses bras en signe de reddition et à l’extrême gauche un enfant sans visage au pull-over rouge. Une flaque de sang est au premier plan, une ville en flammes en haut à gauche. Toute l’horreur de la guerre se lit dans cette toile qui est peut-être la réminiscence d’un souvenir de l’enfance du peintre. Pendant l’occupation nazie, la Gestapo a débarqué chez lui pour arrêter son père, qui, n’étant pas là, a pu prendre le maquis.

A l’inverse, « La paix » est une ode à la vie, les corps sont libres et sveltes. Maillots de bain, mini-jupes sont de rigueur, même si se glisse un vieux scrogneugneu au milieu de cette jeunesse enthousiaste. Ce qui est somme toute normal dans un tableau très peace and love où se mélangent les origines ethniques, sociales et culturelles. Il faut au moins un mécontent.

Le grand jury © Gilles Hutchinson

L’ultime, « Le grand jury », est encore plus énigmatique que les précédents. Dans un joyeux foutoir, des morts (ils semblent morts) et des vivants, l’air très sérieux, examinent un candidat qui est hors-champ. Est-ce l’examen cruciale et ultime qui donne un passeport pour le paradis, un laisser-passer vers le purgatoire ou un aller direct en enfer? Même si ce jury ne semble pas très sérieux, l’heure est grave. La bande de joyeux copains juge ses pairs.

Cette exposition rassérénante et optimiste est parsemée de statues aussi limpides que les toiles sont chargées de symboles et de personnages. Ancrées dans la glaise, elles témoignent d’un amour inaliénable de la vie, même si la mort est omniprésente dans cette exposition.

Il reste un mois et demi pour aller au musée Paul Valéry admirer les dernières œuvres de Martial Raysse.

Jusqu’au 5 novembre 2023 – musée Paul Valéry -148 rue François Desnoyer – 34200 Sète museepaulvalery-sete.fr/