CinéMistral, le vent en poupe.

Retrouvez ici l’intégralité de l’interview de Priscilla Schneider, la « patronne » du cinéma de Frontignan, réalisée par Katleen (et qui n’a pas trouvé toute la place qu’elle méritait dans L’Ancre #3 A la plage.)

Me voilà arrivée devant le CinéMistral. Dans la cour ça sent bon le pin et la culture, deux grands sourires en guise d’accueil, Nathalie et Angèle qui m’indiquent le chemin. Dès que je passe la porte d’entrée, je suis éblouie par les couleurs et les images transmises par les dizaines d’affiches qui ornent les murs de cet antre. Je m’y sens très vite en sécurité, l’odeur du papier glacé, l’atmosphère feutrée et surtout la simplicité. J’entre ensuite dans le bureau de la directrice du CinéMistral, assise derrière son ordinateur, entourée là aussi de dizaines d’affiches de films en tous genres. Priscilla Schneider m’accueille avec un sourire authentique et un regard pétillant. Le bureau est à l’image de la personne, une grande richesse brodée dans un drap de modestie.


L’Ancre : Bonjour, merci d’avoir accepté de me recevoir ! Alors tout d’abord, qui êtes-vous? et qu’est ce cinéma ?

Priscilla Schneider : Je suis une jeune femme de cinquante ans, engagée, très passionnée, passionnée par le cinéma, bonne vivante et cinéphile ! Cela fait dix-huit ans que je fais partie de ce cinéma et auparavant je travaillais au cinéma Diagonal à Montpellier, c’était mon premier poste. Je suis venue parce que j’ai eu vraiment un coup de cœur pour le lieu. C’est beau ici.
Ce cinéma c’est avant tout un lieu de vie dédié à la rencontre avec les gens à travers le cinéma. C’est plus qu’une salle : elle est classée  » Art et Essais » mais elle a une programmation pluraliste, c’est-à-dire qu’on peut y voir tous types de films, autant Top Gun que Drunk ou le dernier film tibétain et tout ça dans une seule salle. C’est un savant patchwork pour arriver à programmer beaucoup de films avec seulement quatre séances par jour. Mais au-delà, il y a tout le travail de médiation et d’accompagnement des films, qui nous permet d’avoir des spectateurs qui viennent voir des œuvres qu’ils ne seraient pas venus voir à priori. C’est un cinéma que j’ai toujours voulu ouvert, pour que les spectateurs se l’approprient, organisent des rencontres, deviennent acteurs. Un film c’est comme un outil, on peut le voir et vivre quelque chose de particulier à travers lui. C’est vivant.

C’est ça pour moi « faire cinéma » : il y en a qui fabriquent des films et il y en a qui épluchent des pommes de terre pour voir des films.


L’Ancre : Vous dites que les spectateurs eux aussi sont acteurs, c’est-à-dire ?

Priscilla Schneider : On a deux collectifs de spectateurs dont l’un est devenu une association maintenant. Ce sont des personnes que j’ai rencontrées au début, quand je suis arrivée, des gens avec qui j’échangeais sur beaucoup de sujets et je me suis dit que ces gens-là, passionnés de cinéma devaient se rencontrer et discuter ensemble. Ils ont plein de choses à se dire ! Il y eu un premier groupe qui s’est créé autour du cinéma belge. Moi c’est un cinéma que j’adore. Ici j’ai rencontré des belges et des gens du nord, on s’est réunis et on a organisé ensemble un évènement qui s’appelle « Le week-end du cinéma belge » qui va faire sa quinzième édition cette année. L’idée c’est, entre autres, de faire venir des réalisateurs belges, c’est faire des moules-frites ensemble et éplucher des pommes de terre ! C’est ça pour moi « faire cinéma » : il y en a qui fabriquent des films et il y en a qui épluchent des pommes de terre pour voir des films. Ensemble, on vit des moments très forts lorsqu’on organise des évènements. Mon rôle est d’y mettre un cadre professionnel mais nous échangeons nos énergies. C’est moi qui leur permets de vivre une expérience un peu exceptionnelle autour du cinéma et eux par leur passion et leur engagement me donnent toujours envie de continuer.
Le deuxième collectif c’est « Le collectif des spectateurs de CinéMistral ». Ce sont là aussi des personnes passionnées de cinéma. Nous nous retrouvons une fois par mois, on débriefe sur les films qu’ils ont vus, pas vus, ou aimeraient voir. Ensuite on choisit un film et deux personnes vont être responsables d’un évènement autour de la première de ce film. On regarde des bandes annonces, on lit des critiques et on arrive à programmer un film après avoir voté.
Un troisième groupe de spectatrices s’est créé autour d’un week-end féminin, féministe et festif qu’on a appelé « Femmes je vous aime ». C’est avec un groupe de femmes que nous avons monté cet évènement. On est une dizaine, toutes différentes. Pour la seconde édition nous avons organisé des projections de films, des courts métrages d’animation sur la sexualité, des débats et des apéros. La prochaine fois j’aimerais faire venir des réalisatrices. On avait même fait un appel aux frontignanaises pour qu’elles nous donnent les petites et vieilles culottes et soutiens-gorge cachés au fond de leurs tiroirs. On en a fait des guirlandes (avec la participation d’une couturière) qu’on a installées dans le jardin du cinéma. Malgré la tempête qui s’est abattue sur nous ce week-end là on a eu vraiment beaucoup de monde et les guirlandes ont tenu !


L’affiche de 100% femmes je vous aime. ©cinémistral
« Malgré la tempête qui s’est abattue sur nous ce week-end là on a eu vraiment beaucoup de monde et les guirlandes ont tenu. » ©xm 

L’Ancre : Une troisième question un peu plus globale : selon vous, à quoi sert le cinéma dans notre société ?

Priscilla Schneider : C’est une grande question ! Le cinéma c’est comme l’art en général. C’est le loisir préféré des français, c’est un de ceux qui est le plus accessible. Les gens allaient beaucoup au cinéma avant la crise. Et pourquoi est-ce qu’on va au cinéma ? Et bien parce que je crois que c’est un lieu où l’on vit les émotions qu’on a besoin de vivre et qu’elles sont décuplées par le noir, par le fait d’être enfermé. Quand des films vous touchent vous pouvez vivre des vies différentes. Je pense que parfois vous pouvez même ressortir d’un film en étant changé parce qu’il vous a amené une réflexion sur votre propre existence. Le cinéma permet aussi la rencontre. C’est à la fois très intime et très solitaire et aussi très collectif, et c’est ce qui est intéressant. C’est ce qui m’a percutée très jeune et qui m’accompagne toujours. J’ai la chance d’en avoir fait mon métier et c’est extraordinaire. Et donc pour moi, oui le cinéma est essentiel dans la vie et je le vois dans la vie des gens.

L’Ancre : Tout à l’heure dans votre présentation, vous avez utilisé le mot « engagée » pour vous décrire. A quoi faites-vous référence ?

Priscilla Schneider : Je défends tous les cinémas, je ne suis pas une anti Jurassic Park ou une anti Top Gun. Les émotions on peut les prendre avec tous types de films, même avec des films spectaculaires. Personnellement c’est plus le cinéma d’art et d’essai qui me parle. Je suis pour un cinéma qui a quelque chose à dire et qui a une manière particulière de nous le dire. Le côté politique se retrouve dans l’organisation d’un week-end féministe ou bien quand on invite François Ruffin par exemple. Il ne faut pas oublier que c’est un cinéma municipal qui présente l’ensemble des films et je pense que les choix de soirées et d’évènements qui mettent en avant certains films, sur l’écologie par exemple, ces choix sont politiques. Quel exploitant de salle peut dire qu’il ne fait pas un métier politique ? Mais c’est au sens noble du terme. La politique ça peut être aussi de donner un espace de liberté aux gens pour s’exprimer, tout le monde est bienvenu.

L’Ancre : Et l’équipe, c’est qui ?

Priscilla Schneider : On est quatre femmes, il y a Angèle, Aisha, Adèle et moi. Elles sont toutes les trois agents polyvalentes, c’est-à-dire qu’elles sont projectionniste, caissière, elles accueillent le public, elles gèrent les arrivées et les départs de films, mettent en place l’affichage, la distribution etc. Angèle qui est la mémoire du CinéMistral est là depuis 25 ans. Aïcha est directrice technique, elle gère, entre autres, la confiserie, et elle est aussi polyvalente. Ensuite nous avons Adèle qui a le poste de médiatrice. Elle est spécialisée dans la médiation avec le jeune public et les adolescents et elle a aussi son rôle de polyvalence. Elle développe tous les projets en et hors temps scolaire. Elle travaille sur les projets éducatifs, de la crèche au lycée. Elle mène toutes les actions, le choix des films, la présentation, l’animation d’ateliers et de débats avec les classes, le centre de loisirs et le club ado. Elle organise aussi des ateliers créatifs autour des films visionnés deux dimanches par mois le matinM


L’Ancre : Si vous étiez un film, lequel seriez-vous ?

Priscilla Schneider : Oula !…Ah oui je sais ! Je serais Drunk de Thomas Vinterberg. C’est un film qui dit un rapport à la vie que j’aime. Il fait vraiment partie de mon histoire pour de nombreuses raisons que je ne peux pas dévoiler. Drunk c’est un film qui raconte l’histoire de quatre amis proches qui se font ch*** dans leur vie, ce qui n’est pas mon cas ! Et qui vont consommer de l’alcool à haute dose pour voir jusqu’où ils peuvent aller et comment ils vont voir la vie. C’est une histoire vraie qui prend sa source dans une expérience menée par un psychiatre. Pour moi, c’est un film qui est habité, Thomas Vinterberg a perdu sa fille dans un accident de voiture, je l’ai su après avoir vu le film. Il parle de la vie, oui on a tous des moments où ça vrille, des moments où on perd pieds, des moments où on ne va pas bien. Je ne dis pas qu’il faut mener ce genre d’expérience mais en tous cas on peut se questionner. Sur les quatre gars, certains s’en sortent et d’autres non, c’est une vraie traversée. Et je suis amoureuse de Mads Mikkelsen, l’acteur principal ! C’est un film physique, et moi dans la vie, j’aime les gens, j’aime la rencontre, j’aime l’expérience. C’est aussi un film qui compte parce qu’il est sorti en 2020 et que je suis venue le voir en bravant l’interdit pendant le couvre-feu. J’ai ouvert le cinéma la nuit et j’étais toute seule dans ma salle. Pour ce film j’aurais fait n’importe quoi, j’ai une histoire avec lui je le sais. Je ne sais pas tout mais je le sais.

L’Ancre : Alors cet été, qu’est-ce qu’il se passe au CinéMistral ?

Priscilla Schneider : Et bien c’est le temps de faire une petite pause estivale pour l’équipe qui vient de passer une année très riche! Donc moins d’évènements entre les murs du cinéma mais, attention, le CinéMistral en association avec la ville de Frontignan nous offre le plaisir de pouvoir profiter d’un bon film tout en profitant de la nature. N’est-ce pas merveilleux ? Et oui, le cinéma en plein air s’invite sur le bassin de Thau et ça s’appelle Cinétoile! La programmation de Cinétoile ne sera dévoilée que début juillet, retrouvez le sur le site !