Ecologistes, féministes, culinaires et toujours spirituelles, les géniales chroniques de Madam’ Cook vous ont manqué ? A nous aussi ! Notre cuisinière très classe, embarquée sur L’Arctic Sunrise, le mythique brise glace de Greenpeace, fait route pour les Galapagos.
01°N – 85° WPacifique
16 février 2024
Coucou,
Alors nous voilà en route pour les Galapagos. Si, si. Truc de ouf. Encore. C’est la neuvième fois que je rembarque sur l’un des bateaux de Greenpeace (depuis 2017). Et les destinations changent mais ne déçoivent pas… Les challenges non plus. Là, il s’agit de nourrir grosso modo trente-six personnes pour les six semaines à venir, tout en ne restant pas scotchée les jumelles au hublot. Parce que ça représente quand même son pesant de noix de pécan en charge mentale, cette histoire.
Mais pour l’heure, les dés sont jetés. On a pris la mer depuis soixante-douze heures. Partis de Balboa, le port situé à l’embouchure du canal de Panama, côté Pacifique, on vogue à onze noeuds de moyenne (soit vingt kilomètres/heure). Cap presque plein sud (176°). Et les provisions sont serrées comme les sardines, sans blague, dans le congel (100 kg sont casés pour servir d’appât aux requins qu’on va essayer de filmer, mesurer, dénombrer, j’y reviendrai, plus loin) dans la chambre froide, le dry store (une pièce à étagères, grande comme la moitié d’une réserve de cantine de collège public de Dordogne) et en-dessous des bancs du mess (le réfectoire – en langue militaire). Quasi quatorze mille euros de commande, d’achat et de pression, mais fastoche en fait. Oui, parce que ça y est, maintenant on est un équipage presque végé !
Oui, alors je sais, on a plus envie de savoir en quoi consiste la mission scientifique à venir aux Galapagos, et comment la mer scintille, et combien de dauphins nagent à l’étrave, et si on va voir des requins… mais je compte bien raconter mon taf de cook et partager ce qu’on fout depuis un mois déjà. Oui, y a pas que les Galapagos et ces cinq pages de restrictions -et dans restrictions y a stricte – qui comptent.
L’Arctic Sunrise (Quelques chiffres)
D’abord, ce que je voulais préciser, c’est que je suis à bord de l’Arctic Sunrise. Parce qu’on me demande souvent : et c’est sur quel bateau que tu travailles ? Alors pour la faire courte (et me la raconter aussi), je réponds : le « Rainbow Warrior ». Et bin, raté ! Cette fois, je suis sur le brise-glace qui n’est pourtant pas moins mythique que le géant voilier légendaire parce que c’est là qu’on été assaillis mes collègues en 2013. Quand ils croisaient en mer Baltique contre les plateformes pétrolières et que les forces spéciales russes de Poutine ont déboulé avec leurs hélicos, leurs cagoules et leurs kalachnikovs. Et les ont emprisonnés près de deux mois dans des geôles à Mourmansk et qu’ils sont devenus les « Arctic 30 », soutenus à l’international pour obtenir leur libération. Si ça vous dit pas, c’est grave, parce que c’était un vrai moment écoterroriste.
Donc l’Arctic Sunrise mesure une cinquantaine de mètres et peut embarquer jusqu’à trente-sept personnes. Même que ça va être le cas la semaine prochaine. Non, c’est juste qu’avec les 35°C de chaleur ambiante, je viens de me dire que ça va représenter quinze litres de jus de fruits par jour et que j’avais compté six par jour soit 240 pour 40 jours…
Et pour l’instant, on est que vingt-six. Mais je crois qu’on a passé huit litres aujourd’hui… Alors dix jours à vingt-six puis six jours à trente-sept…. hahaha je blague, je calcule jamais vraiment en fait, je croise juste les doigts et j’écris que c’est méga dur comme taf…
Alors tant que je suis dans les chiffres, ce bateau consomme quatre mètres cubes de fuel par jour en moyenne (un cargo, porte-conteneurs c’est au-delà de mille mètres cubes par jour). Le plein c’est 400 000 m3. En ce qui concerne l’eau, deux systèmes permettent de produire l’eau que l’on consomme à bord (à boire, à se doucher, à faire la vaisselle et pour les toilettes), soit 2 à 3 tonnes par jour. Et on en produit huit tonnes par jour si on vogue à plus de dix noeuds, sinon l’évaporateur et l’osmoseur ne peuvent pas fonctionner (je raccourcis l’explication, l’important c’est d’imaginer qu’on boit l’eau de l’océan reminéralisée avec des pierres contenues dans un tube transparent qui ressemble à un aquarium). Cent tonnes peuvent être stockées au total.
Bon et sinon, j’ai acheté près de 500 kilos de fruits et légumes, 300 miches de pain, 350 litres de lait de vache et végétaux, 50 kilos de café, 22 kilos de beurre, 1620 oeufs, 44 kilos de fromage, 70 litres d’huile et 16 kilos de noix et de graines (genre pécan, courge, amande, tournesol, et pas de noisette, je sais pas pourquoi, introuvables les noisettes, ni au Mexique, ni au Panama mais les noix de pécan c’est local comme les autres d’ailleurs alors ça change).
Enfoncer quelques portes ouvertes.
Au Mexique, à Puerto Vallarta, mi-janvier, on a suivi un atelier de « conscious conversations » pour apprendre à bien communiquer entre nous et en général. Oui, ça m’a profité, comme à tous mes collègues. Je sais pas si c’est un truc bien connu que je vais rapporter là mais chaque nationalité se place dans un « high context » ou un « low context. » Ce qui veut dire qu’en fonction de la quantité de « gants » ou de soin ou de circonvolutions qu’on prend pour formuler une demande ou une réclamation à une autre personne, on se situe en « high » ou « low context ». Mais on ne choisit pas dans les faits. On est déterminé par sa culture qui vient entre autres de notre nationalité. Les Français.es on est plutôt « high », les hollandais.es sont très « low », les américain.e.s aussi, et les taïwanais.es sont « high ». A bord on est plus de vingt-deux nationalités différentes et ça permet de bien cerner des situations qui me rendaient dingue jusque là. Bon, j’imagine que j’enfonce des portes ouvertes mais c’est hyper intéressant de capter ce truc quand tu passes tes journées à échanger avec des personnes que t’as appris à connaître mais que tu comprends toujours pas, surtout pourquoi elles sourient quand toi t’es excédé(e)
A Puerto Vallarta qui est donc une station balnéaire de la Côte Pacifique où les américains, en majorité, embarquent à mille sur des bateaux pour aller voir les baleines à bosses qui se pavanent tranquilles dans la baie, on a aussi fait une petite sortie en mer de quatre jours pour faire un entraînement de campaigners. Ces personnes qui bossent dans les bureaux de Greenpeace de différents pays ont besoin d’expérimenter comment faire avec l’Arctic Sunrise pour planifier leurs prochaines campagnes. Elles ont fait des jeux de rôles avec leur vrai rôle mais pour de fausses campagnes.
Proteines en poudre versus brocolis sautés au curry
Et le 31 janvier, on a fait un BBQ avec de la viande en l’honneur du dernier jour avant l’application de la Food Policy. Si, si, la honte. Depuis 2017, le règlement dit qu’on ne mange de la viande que deux repas par semaine (version extra-courte) mais ce n’était écrit que sous forme de circulaire et au 1er février, petite circulaire est devenue grande Policy, à appliquer in extenso. Alors dans les faits, et je l’écris parce que ça doit être dit pour pouvoir en rigoler un jour (dans l’idée que ça en reste là, je veux dire que ça ne devienne pas « normal »), trois quarts de l’équipage a demandé à GPI que des protéines en poudre soit mises à dispo pour remplacer le manque de protéines animales dans les repas. Et avant il a été précisé, (rapport à notre nouvel apprentissage des « conscious conversations ») qu’il ne fallait pas que je le prenne « personnellement ». Sauf que quand je fais des pains pitas maison avec du guacamole, du labneh, un mix de haricots rouges, poivrons, une sauce fumée ou des légumes yassa, de l’aloco, des quesadillas aux trois fromages, des brocolis sautés au curry et à la feta, du pak choï en chop suey ou des pancakes de farine de chana dhal aux cébettes et bin ! comme y’a pas de viande, on ne vient pas manger, on boit sa potion magique et hop on retourne manger des chips et on demande si y’a de la glace en dessert… Retour en arrière de ouf. En fait, c’est en fonction de qui est à bord, de qui sont mes collègues et je ne citerai pas de nom parce que c’est trop ridicule pour en parler davantage
De toute façon, avec les nouveaux et nouvelles campaigners, celles et ceux avec qui on s’aventure aux Galapagos, ça va beaucoup mieux. Tout le monde est ravi. J’ai même été interviewée pour raconter comment ça se passe bien. Alors n’en parlons plus. Et tant qu’on le peut, mangeons toutes ces couleurs et textures, au maximum bio et végé, cuisinées maison, approvisionnées locales et non-issues de l’agro-industrie et de ces multi-nationales qui empoisonnent et détruisent la planète à leur profit.
Dernier point bouffe (promis) : j’ai façonné un nouveau truc samedi dernier pour fêter le nouvel an chinois : des gua bao, ça parle ? Ce sont des petits pains, pliés en deux, cuits à la vapeur, fourrés avec carottes, poireaux, céleris sautés et un quart de tomate rôtie au balsa, une sauce à la coriandre, au gingembre et à l’ail. Ma collègue taïwanaise a reconnu !
Restrictions et missions scientifiques.
En ce qui concerne les restrictions, pour pénétrer dans la zone des Galapagos, on n’a pas le droit à d’autres viandes qu’au poulet, pas le droit aux oranges mais les pamplemousses et citrons oui, pas le droit aux graines de chia mais sésame, tournesol pas de problème, pas le droit au fromage frais mais le beurre ça passe, le yaourt aussi s’il est bien industriel et sous plastique, pas le droit au tabac ou au café frais mais torréfié ou sec c’est bon. Et j’en passe cinq pages comme ça. Partis de Puerto Vallarta début février, on a donc fait un stop au Panama pour cleaner le bateau de fond en combles. On s’est fait sortir du bateau pour une journée et une nuit de fumigation sauf qu’en revenant, y avait toujours autant de mouches. Alors on s’est dit que c’était rassurant finalement. Que tout n’avait pas vraiment été pesticidé. Pour la coque du bateau, des plongeurs ont gratté pendant deux jours avec diverses machines. Et on a aussi dû s’y mettre parce qu’il reste encore pas mal de p’tis coquillages. Les mêmes, exactement que j’ai grattés et poncés sous la coque de Saï-Saï mi-décembre. J’aurais pas cru me retrouver à caréner en plein Pacifique dans une eau à 27°C par 2000 mètres de fonds un bateau de 50 mètres de long. Y avait du courant, c’était hyper sport. L’inspection sera faite à notre arrivée à Puerto Ayora. Dans dix jours. C’est le nom du port de la ville principale de Santa Cruz, l’une des îles habitées des Galapagos. Depuis 1998, cette réserve naturelle historique, inscrite à l’Unesco, est habitable et bénéficie de sa propre loi, même si elle appartient à l’Equateur. Depuis un mois qu’on se prépare, qu’on a dû couvrir tous les hublots du bateau d’un film qui coupe la lumière intérieure, que tous nos habits vont devoir passer au congel pour quarante-huit heures, il faut bien se rendre à l’évidence, les Galapagos sont un endroit très spécial et pas vraiment fréquenté (bon, il se trouve que 300 000 touristes y viennent chaque année, en avion, donc). Pour avoir été en Antarctique (Peninsula) deux fois, on sent que l’enjeu est supérieur. Mais c’est juste parce que un cerisier, ça risque de pousser et de perturber ainsi l’écosystème vachement plus sensiblement en zone tropicale qu’en zone glacée. Les missions scientifiques menées en bateau à propos de la vie sous-marine sont en tout cas rares et c’est d’ailleurs la toute première fois que Greenpeace l’envisage.
On navigue donc en ce moment dans une zone située à 1 degré de latitude Nord et 85 degrés de longitude Ouest. Et les opérations ont déjà commencé. Des scientifiques équatoriens déploient des BRUV, pour Baited Remoted Underwater Video System. Concrètement, il s’agit d’un cadre métallique triangulaire muni de trois go-pro et d’une caméra 360° reliées à une boîte trouée qui contient des bouts de sardines. Une ficelle bleue relie l’ensemble à un flotteur, puis à une bouée rouge et à un pied de parasol où est scotché un AIS, un système de détection GPS avec un drapeau. Ces appareils sont mis à l’eau depuis l’arrière (le poopdeck) de l’Arctic Sunrise par mes collègues deckhand. Le tout filmé, enregistré et applaudi parce que ça se passe bien. Puis ramenés à bord au bout de deux heures et rebelote un mille nautique plus loin. Mike, le captain, pilote le bateau pour amoindrir l’effet du courant. Ce courant qui s’appelle équatorial est méga puissant, oui, on est tout près de l’Equateur. Il faut rendre l’opération moins compliquée pour retrouver les BRUV mis à l’eau dans cet immense bleu scintillant et silencieux. Et je sais plus si on en a parlé mais il fait 30°C de jour comme de nuit comme dans l’eau.
Et on en revient aux quantités de jus de fruits ingurgités dans ce brise-glace qui suffoque parce que pas prévu pour flotter en zone tropicale… Pas vraiment des vacances même si l’environnement pourrait s’y prêter. Chacun, chacune a son rôle et tout le monde est relié par sa part de travail aux autres. C’est chouette et c’est prenant.
J’en reviens aux BRUV, il s’agit de les déployer au-dessus des seamounts situés là où on vogue en ce moment. Ces hauts-fonds (genre montagnes sous-marines qui culminent à 1000 mètres en-dessous du niveau de l’eau) s’éparpillent joliment entre les Galapagos et le continent sud américain. C’est par là que les requins, cétacés et tortues passent quand ils se déplacent entre les différentes réserves du coin (Cocos Island (Costa Rica) / Malpelo (Colombie) et Galapagos (Equateur). Ce sont leurs routes, leurs voies migratrices. En tout cas, c’est ce qui est supposé. Parce qu’il se trouve qu’on est en zone maritime internationale et que les recherches sont peu nombreuses dans le coin. Et comme Greenpeace entend promouvoir la ratification du Global Ocean Treaty, ce traité international adopté en juin dernier qui détermine la protection de 30 % des mers mondiales, il faut convaincre. Prouver qui vit par là. Combien sont nombreux, ou plus trop, les requins marteaux, les requins baleines*, les baleines bleues, les cachalots, les tortues luth. La liste est bien plus longue mais je vais attendre de les voir en vrai, tous ces spécimens, pour la rallonger et la remplir de descriptions et de couleurs, d’ac ?
Les Etats doivent ratifier ce traité pour l’appliquer et, entre autres, ainsi, stopper les navires-usines qui tentent de pêcher par là. Les images des go-pros et autres caméras étanches vont permettre de voir qui va là. De mesurer, quantifier, déterminer tous les « petits » malins alléchés par l’odeur des sardines, de manière non-invasive. De ce qui en est dit ici, les opérations du genre ne sont pas légions et l’objectif est d’inscrire la totalité de la zone hauturière au traité pour que les requins qui viennent en villégiature aux Galapagos se sentent sereins d’emprunter leur autoroute favorite à l’avenir. En parallèle, des échantillons d’eau du Pacifique sont collectés pour analyser la présence d’ADN de telles ou telles espèces plus rares qui n’apparaîtraient pas sur les images issues des BRUV. Voilà, j’avais gardé le plus croustillant pour la fin et je m’en vais maintenant peindre les booby à pattes-rouges qui squattent le haut du mât du bateau. Ils sont cinq et ont bien choisi leur taxi pour les Galapagos !
J’en dis plus dans quelques semaines, promis. Et au fait, j’ai toujours pas d’appareil photo, c’est pour ça que j’ai utilisé toutes ces lignes pour vous partager ce qui se passe ici. L’idée, c’est que si je connaissais quelqu’un(e )à bord d’un bateau de Greenpeace, j’aimerais bien qu’elle(il) raconte ce qu’il s’y passe alors voilà, je m’y tiens et j’espère que ça vous tient. Gros bisous. A toute.
* La toute première fois que j’ai mis un pied sur un voilier, c’était pour traverser l’Atlantique et atteindre le Bélize sans prendre l’avion pour y observer un requin-baleine. C’était y a onze ans, j’avais atteint le Bélize (et pas mal vomi à cause du mal de mer) mais j’ai encore jamais vu de requin-baleine…